Articles parus dans Le Courrier de Saint-Hyacinthe les 4 novembre et 9 décembre 2023
Catégorie: Justice
Sous-catégorie: Affaire criminelle
Auteur: Martin Ostiguy
La fin de l’année 1897 fut marquée par un fait divers qui fit grand bruit à l’époque dans la région. Le jeune Jean-Baptiste Guillemain de Biddeford, Maine, est accusé d’avoir tué son oncle, Jean-Baptiste ‘Johnny’ Laplante à Saint-Liboire. Le crime a lieu samedi le 30 octobre en début de soirée. Laplante a passé la journée à Sainte-Rosalie où il a emprunté une somme de 200 $ à son père, puis à Saint-Hyacinthe pour faire des emplettes. Il s’embarque dans le train de 17:30 qui le ramène vers Saint-Liboire. À son arrivée au village, il s’arrête chez le marchand général, Éphrem Dupont pour acheter un quart de livre de thé fort. Il quitte le magasin vers 18:30. Il ne lui reste que dix minutes à marcher avant d’être arrivé chez lui. Il salue Dupont, qui sera le dernier à le voir vivant et s’éloigne dans l’obscurité.
Vers 19:00, la voiture conduite par Hormidas Lapierre, stoppe net au milieu de la route. Lapierre descend et va voir ce qui a arrêté son cheval. Il fait noir et il ne distingue pas grand-chose mais il constate tout de même qu’un homme, soit ivre, soit blessé, est étendu de tout son long sur le chemin. Il se rend chez le plus proche voisin pour y prendre un fanal. Le sort veut que la maison la plus près soit celle de la victime. Madame Laplante est aussitôt convaincue qu’il s’agit de son époux. Lapierre, accompagné de quelques voisins, se rend de nouveau près de l’homme. Ce dernier baigne dans une mare de sang. Il a visiblement été frappé derrière la tête puis sur la mâchoire. On court prévenir le docteur Berthiaume qui constate le décès et qui s’empresse de prévenir le coroner Blanchard. Le cadavre du pauvre Laplante est alors transporté chez lui et posé sur la table de la cuisine. Sa femme, ses sept enfants et son neveu, en visite de Biddeford depuis le 5 octobre, semblent consternés…
On pensa un temps que Laplante aurait pu être étendu sur la route pour une raison inconnue et que le cheval de Lapierre aurait pu lui infliger les blessures constatées sur sa dépouille. Mais le coroner écarta assez rapidement cette hypothèse. Il était clair, tant pour lui que pour le docteur Berthiaume, que Johnny Laplante avait été victime d’un meurtre. Le bâton qui servit au crime fut d’ailleurs rapidement retrouvé derrière la grange de Laplante. Le motif du crime ne fut pas non plus difficile à trouver. Tout le monde savait que Laplante, jamais très discret lorsqu’il était question d’argent, se rendait à Saint-Hyacinthe pour y collecter des sommes cette journée-là. Or aucun montant significatif ne fut retrouvé sur lui.
Le jeune Guillemain, âgé de 17 ans, est le fils de la sœur de Mathilda Berthiaume Laplante, la femme du défunt. Il habite chez les Laplante depuis le début du mois. Au moment du meurtre, il s’est absenté pour aller rentrer les chevaux qui étaient encore au pacage. Il y avait bien une demi-heure que sa tante lui demandait de le faire mais il lui répondait que ça ne pressait pas. Lorsqu’il décide d’y aller, il refuse que son cousin le plus vieux l’accompagne. Plus tard, lorsque Lapierre cogne à la porte, il refuse net de l’accompagner pour identifier l’homme étendu sur la route. Il n’en faut pas plus pour mettre la puce à l’oreille des autorités, mais Guillemain a déjà quitté le Canada et est retourné à Biddeford…
En effet, le 12 novembre 1897, deux semaines après le meurtre de son oncle Johnny Laplante de Saint-Liboire, le jeune Jean-Baptiste quitte la maison de sa tante où il réside depuis le début du mois d’octobre et il retourne chez ses parents à Biddeford, dans le Maine. Sitôt débarqué du train, il croise un ami, Pierre Ledoux, et lui propose de «prendre une brosse». Ils font le tour de plusieurs bars et chaque fois, il paie avec des billets de dix dollars. Lorsque Ledoux lui demande comment il s’est procuré cet argent, il lui répond qu’il l’a volé au cirque Barnum de Montréal où il a travaillé pendant un mois. Ce mensonge se propage rapidement dans la petite communauté francophone de Biddeford et attire l’attention des forces de l’ordre. Faisant le lien avec le meurtre non résolu de Laplante au Canada, on arrête Guillemain.
Ses parents vont le visiter en prison. Dès qu’il voit sa mère, il éclate en sanglots. Lorsqu’elle lui demande s’il est coupable, il avoue immédiatement le crime mais il lui jure que c’est sa tante qui l’a fait boire pour le convaincre de tuer son oncle. Il va même jusqu’à déclarer que sa tante lui a promis de le marier dès que son mari serait mort. Les autorités américaines communiquent immédiatement avec la police de Saint-Hyacinthe qui met la veuve Laplante en garde à vue. Guillemain est alors extradé au Canada. On lui fait rencontrer sa tante et on observe la réaction des deux présumés complices. Devant le désarroi de la veuve, Guillemain avoue avoir menti et, cette fois, il accuse un voisin, Louis Tétrault d’avoir commis le crime. Tétrault aurait partagé la somme volée avec Guillemain pour acheter son silence.
Tétrault est immédiatement mis sous arrêt et les deux hommes sont incarcérés à la prison de Saint-Hyacinthe. Le témoignage de Guillemain étant plein de contradictions, Tétrault est rapidement libéré et seul Guillemain est finalement accusé du crime. Le début du procès est fixé au 27 juin 1898. Il se déroulera au Palais de justice de Saint-Hyacinthe devant Louis Tellier, juge à la Cour Supérieure. Le 25 avril, Guillemain et un codétenu faussent compagnie à leurs gardiens. Ils seront repris à Saint-Hilaire, trois jours plus tard. Cette tentative d’évasion n’aidera pas la cause du jeune homme.
Lorsque s’ouvre le procès, la foule est nombreuse et composée en grande partie de femmes. L’accusé est jeune et bel homme et sa mésaventure fascine. Les grands journaux de Montréal, de Québec et même de la côte est américaine envoient des reporters à Saint-Hyacinthe pour couvrir l’événement.
L’avocat de la défense, Alphonse Bourgeault, fait un travail remarquable d’après les journalistes présents au Tribunal. Il insiste constamment sur le fait que les preuves de la Couronne ne sont que circonstancielles. Personne n’a vu Guillemain commettre le meurtre. Le fait qu’il se soit retrouvé avec l’argent du défunt ne veut pas dire qu’il a tué son oncle pour se le procurer. Malgré tout, lorsque le procès se termine le 10 juillet, le jury rend un verdict de culpabilité. Le juge Tellier le condamne à être pendu par le cou jusqu’à ce que mort s’ensuive le 30 septembre. Une semaine avant, grâce au travail acharné de maitre Bourgeault, la peine est commuée en emprisonnement à vie. Le 27 septembre, Guillemain est écroué au pénitencier Saint-Vincent de Paul à Laval dont il ne sortira qu’en 1914. On perd sa trace par la suite…
Photo couverture: Jean-Baptiste Guillemain. Centre d’histoire de Saint-Hyacinthe, CH478 Collection de la Société d’histoire régionale de Saint-Hyacinthe.