Article paru dans Le Courrier de Saint-Hyacinthe le 4 octobre 2000.
Catégorie: Arts
Sous-catégorie: Salles de spectacles
Auteure: Anne-Sophie Robert
En 1916, un superbe théâtre ouvre ses portes sur la rue Girouard et son propriétaire, T.D. Bouchard, le baptise du nom de son épouse, Corona. Il est intéressant de se demander dans quel contexte est fondé le théâtre Corona et quels genres de spectacles y étaient présentés. L’histoire du théâtre Corona de Saint-Hyacinthe est une aventure qui s’étend sur six décennies dans le monde de la culture populaire québécoise au vingtième siècle.
Au début du siècle dernier, les villes québécoises attirent de plus en plus de gens de la campagne désireux de se trouver du travail dans les différentes manufactures et usines. Les populations urbaines augmentent donc et se crée à partir de ce moment un besoin de sociabilité dans les villes contribuant ainsi à accroître le goût du divertissement. On voit donc apparaître de plus en plus de salles de spectacle dans les villes du Québec. Une autre explication à cette recrudescence des lieux de divertissement est le cinéma, le nouveau-né chéri. D’ailleurs, dans les années dix et vingt, la radio n’en est qu’à ses premiers balbutiements. Elle sera à son apogée dans les années trente. Les citadins sortent donc de leur foyer pour se divertir.
C’est dans ce contexte que le théâtre Corona de Saint-Hyacinthe est fondé. L’initiateur du projet est Télesphore-Damien Bouchard qui est, lors de l’ouverture le 1er mai 1916, député provincial sous la bannière libérale. Une année plus tard, il sera élu à la mairie de Saint-Hyacinthe et y restera jusqu’en 1930. Son but est d’ouvrir une salle de spectacles assez spacieuse pour accueillir des troupes extérieures et renommées, belle, confortable et moderne. La soirée d’inauguration promet « un magnifique programme de vues animées ». À cette époque, à Saint-Hyacinthe, il existe une salle de spectacle, le Théâtre Bijou, dont le propriétaire est Alphonse Gervais. Sa jalousie pour le succès du Théâtre Corona l’amènera à la cour de justice en 1916 pour cause de vandalisme sur des affiches du Corona. Il abandonne le théâtre Bijou en 1917 qui est repris par son ancien propriétaire, Adrien Blondin. Ce théâtre fermera définitivement ses portes en 1919.
En plus des films, une foule de spectacles sont présentés au Corona. On peut observer une certaine évolution dans les programmes présentés au fil des cinquante années d’existence du Corona. Dans les premières années, on présente du théâtre, notamment du vaudeville et du burlesque qui atteint une popularité importante après 1918. Les billets pour ce genre de spectacle au Corona sont vendus 0.25$ pour des places régulières, 0,50$ à 0,75$ pour les places réservées et 1,00$ pour les loges. Du cinéma muet est présenté ainsi que des images d’actualité. Par exemple, en 1921, le public peut voir sur grand écran le match de tennis opposant le maskoutain Henri Laframboise à l’australien Jim Anderson, vainqueur de la partie, lors de la coupe Davis. Cependant, dans les premières années du Corona, il n’y a pas que théâtre, cinéma et actualité, il y a aussi des concerts de musique classique. Par exemple, le baryton Camille Duguay y donne un concert le 12 avril 1917. Il y a également des spectacles de musique populaire que les spectateurs peuvent apprécier grâce à des chanteurs de chansonnettes et à l’orchestre durant les entractes. Les billets pour les spectacles à cette époque se vendent 0,5$, 0,10$ et 0,20$.
De plus, en 1917, il est possible d’avoir les dernières informations sur un événement qui captive tout le monde, car il est annoncé dans le journal Le Clairon que « les rapports détaillés de l’élection de Dorchester seront donnés samedi soir au Théâtre Corona par Fil Spécial du G.N. Telegraph. Libéraux, conservateurs et nationalistes venez en foule voir notre superbe programme de vues et apprendre le résultat de l’élection qui intéresse tout le pays. » Aussi, les spectateurs du Théâtre Corona peuvent assister à des spectacles hors de la salle avant les représentations habituelles à l’intérieur. Notamment, il est annoncé dans le Clairon que « Wilfrid Cabana exécutera le redoutable tour de force qui consiste à supporter une automobile sur un pont. Ce tour de force s’accomplira GRATIS en face du Théâtre, à 2.00 hrs de l’après-midi et à 7.30 hrs du soir avant les représentations.»
Dans les années vingt, les programmes combinent souvent un ou deux films et un spectacle de théâtre ou de musique. Cette tradition se poursuivra jusqu’à la fin des années trente.
Pour assister à un programme double, les gens doivent s’acheter un billet au coût de 0,25$ en matinée et 0,35$ à 0,45$ en soirée. Un évènement important contribue à augmenter les foules dans les théâtres, il s’agit de l’avènement du cinéma parlant qui devient le divertissement ayant le plus de popularité dans les années trente. Le théâtre Corona, comme les autres théâtres du Québec, donne une place importante aux « vues françaises ». Au moment de l’introduction du cinéma parlant, le théâtre est en situation de crise durant quelques années étant donné la popularité du cinéma, cependant dès le début des années trente, il reprend sa place parmi les divertissements favoris du public qui prend un grand plaisir à assister à des pièces mélodramatiques, des vaudeville, et des opéras-bouffes donnés, souvent, par des troupes amateures. Par exemple, en 1934 au Corona est présentée La rapace vertueuse écrite et mise en scène par le maskoutain Noël-Henri Paradis, une tragi-comédie « interprétée par un groupe des plus forts amateurs de Saint-Hyacinthe ».
Dans les années trente, les maskoutains se rendent en grand nombre pour assister aux spectacles musicaux. La Société philharmonique de Saint-Hyacinthe, la Société des concerts de Saint-Hyacinthe ainsi que la Société des rendez-vous artistiques présentent à de nombreuses reprises des concerts sur la scène du Corona. Il ne faut pas oublier non plus les soirées hebdomadaires de concours d’amateurs où des artistes démontrent leur talent devant le public représentant le jury. De nombreux articles parus dans le Clairon de Saint-Hyacinthe témoignent de la popularité de ce genre de soirée. Un article de l’édition du Clairon du 19 janvier 1934 en fait foi : « On a dû refuser du monde au contrôle du Corona, samedi dernier, tant l’assistance s’était rendue pour le toujours intéressant programme du samedi (…) c’est la preuve la plus éloquente du succès que remportent les concours d’amateurs organisés par notre populaire théâtre local. »
Une jeune femme de Saint-Hyacinthe, Françoise Dubé, surnommée la « Chanteuse maskoutaine », y remporte un vif succès puisque le public lui remet à de nombreuses reprises le premier prix. Un autre genre de spectacle présenté au Corona durant les années trente est le défilé de mode ou, comme il était dit à l’époque, une exposition de mode, de la Maison Paul-Émile Poirier, présentant les dernières créations de New York et de Paris.
Au cours des années quarante et cinquante, le cinéma prend de plus en plus de place dans l’horaire du théâtre Corona. Avec les années, la salle s’est défraîchie et démodée et en 1954 le Corona se trouve face à un ennemi, Le Paris, cinéma moderne et confortable pouvant accueillir jusqu’à 920 personnes. Celui-ci est inauguré le 21 janvier 1954. On y présente du cinéma, mais aussi des spectacles. D’ailleurs, Jacques Brel y performe en 1967, année de la fermeture du Corona. Étant confronté à ces problèmes dans les années cinquante, T.D. Bouchard décide d’effectuer d’importantes rénovations à l’intérieur de son théâtre pour le mettre au goût du jour et pour augmenter le nombre de places. Cependant, les nouvelles salles modernes, comme Le Paris, continuent de l’éclipser. De plus, le nouveau joujou des années cinquante, c’est-à-dire la télévision qui apparaît dans les foyers québécois en 1952, n’aide en rien à la survie du Corona. En effet, les gens se déplacent de moins en moins pour assister à des spectacles, sauf pour aller au cinéma.
Après avoir diverti pendant cinquante et un ans les maskoutains le théâtre Corona ferme ses portes en 1967. Il a traversé les époques marquant le vingtième siècle pour être à son apogée dans les années trente et quarante et pour décliner doucement dans les années cinquante et soixante. Aujourd’hui, le Corona n’est plus qu’un souvenir pour certains et pour d’autres, il n’évoque absolument rien, mais on peut affirmer avec certitude qu’il fait partie de l’histoire culturelle maskoutaine.