Articles parus dans Le Courrier de Saint-Hyacinthe les 7 et 14 novembre 2007
Catégorie: Catastrophes
Sous-catégorie: Inondation
Auteure: Anne-Sophie Robert
Avant la construction du mur de soutènement le long de la rivière Yamaska dans le bas de la ville de Saint-Hyacinthe, il n’était pas rare de voir celle-ci sortir de son lit et laisser son eau et ses glaces envahir les rues. Presqu’à chaque printemps, la même histoire se répétait. Or, en 1927, les résidents de ce secteur de la ville, principalement peuplé d’ouvriers, de journaliers et de commerçants, doivent composer avec une inondation en plein automne. En effet, un important système de mauvais temps crée de nombreux problèmes dans tout le sud du Québec, principalement du 2 au 4 novembre 1927.
Dans son journal, l’abbé Alphonse Gervais, aumônier du Collège Farnham raconte le 4 novembre 1927: « Il pleut encore, l’eau est très haute et a causé beaucoup de dommages partout. Les trains de Montréal arrêtent ici, ils ne peuvent se rendre à Sherbrooke ou aux États-Unis. L’eau a emporté des ponts et des ponceaux et couvre la voie. Le soir c’est froid et l’eau monte encore. » Ce témoignage traduit bien la situation critique en ce 4 novembre 1927 où partout dans les Cantons-de-l’Est, dans la région de Saint-Hyacinthe et des Bois-Francs, le niveau des cours d’eau est alarmant. Le journal La Patrie du vendredi 4 novembre 1927 rapporte que la pluie tombe sans interruption depuis 2 jours et qu’à la suite d’inondations, des accidents graves se sont produits : effondrement de voies ferrées, déraillement de trains, trains tombés dans des ravins, ponts emportés, etc. On rapporte un décès et de nombreux blessés à Drummondville, suite à l’emportement d’un pont. Dans les Cantons-de-l’Est, les gens se promènent en chaloupe dans les rues et les usines sont fermées.
À Saint-Hyacinthe, la situation est la même. Le désastre ébranle de nombreux Maskoutains dont le chanoine Léon Pratte, alors supérieur du Séminaire. Il a d’ailleurs laissé un intéressant témoignage dans son journal. Il commence à parler du mauvais temps dès le 3 novembre 1927 : « La pluie est commencée hier soir vers les cinq heures et elle est tombée abondante toute la nuit et toute le journée. » Le 4 novembre, il raconte : « La pluie s’est continuée abondante toute la nuit dernière et toute la journée. L’eau est très haute et elle monte continuellement. Le bas de la ville est inondé, plusieurs maisons sont à l’eau. » Le lendemain, 5 novembre, il livre plus de détails quant aux dommages : « La pluie est cessée la nuit dernière mais l’eau est encore montée. Elle est rendue jusqu’à la rue Cascades. Le soubassement de l’Église du Christ-Roi [alors en construction] est rempli d’eau. L’Académie Prince est entourée d’eau. Toute communication avec la paroisse de Saint-Joseph et la Station du Pacifique sont interrompues. Une centaine de maisons sont dans l’eau, on va de l’une à l’autre en canot. C’est triste à faire pleurer. De mémoire d’homme, jamais l’eau est devenue si haute. Les trains ne circulent pas régulièrement : à différents endroits la voie est inondée. »
On apprend dans le Courrier de Saint-Hyacinthe que le 4 novembre, vers 22 :00, le niveau de la rivière Yamaska est monté de 15 à 16 pieds notamment en bas de la digue en béton de la compagnie Penman’s. En fait, l’inondation s’étend dans tout le bas de la ville jusqu’à la rue Saint-Antoine. En plus des maisons, des usines sont aussi touchées par le désastre : l’usine Penman’s, L.P. Morin & Fils, manufacturier de portes et châssis, la fonderie Dussault et Lamoureux, le moulin à farine Côté, la manufacture de souliers J. A. & M. Côté et la tannerie Duclos & Payan. À certains endroits, par exemple sur les rues Saint-Casimir (actuelle rue Vaudreuil) et Saint-Pascal (actuelle rue Brodeur), l’eau monte rapidement jusqu’au deuxième étage des maisons obligeant les gens à quitter les lieux en abandonnant leurs biens. Plus de 70 familles sont sans abri. Le chef de police, Adjutor Bourgeois, et des constables aident ces familles à s’installer ailleurs. Certaines se réfugient chez des parents et des amis, à l’hôtel, à l’hôpital ou bien au manège militaire aménagé rapidement pour faire face à l’urgence.
Du samedi 5 novembre au vendredi 11 novembre, l’eau se retire tranquillement. Les caves, cependant, sont toujours pleines d’eau et les rues sont couvertes de dépôts vaseux et de débris de toutes sortes. Bref, beaucoup de nettoyage est à prévoir. Le journal Le Clairon du 11 novembre 1927 rapporte que les dommages s’élèvent à environ 65 000$. Le maire de l’époque, Télesphore-Damien Bouchard, fait préparer un recensement : 250 familles ont été inondées, certaines de façon catastrophique et d’autres plus légèrement. Le recensement fait état des dommages de chacune des maisons touchées. Par exemple : au no. 10 de la rue Saint-Pascal, chez M. J. Provençal, où habitent 11 personnes, il y a pour 1500$ de dommages. Les manufactures font aussi partie du recensement. Pour Duclos & Payan, les dommages s’élèvent à environ 1000$; chez J. A. & M. Coté, à 5000$; au Moulin à farine Côté, le courant a emporté la chaussée et les dommages s’élèvent à 3500$; pour les compagnies Dussault & Lamoureux, L.P. Morin & Fils et Penman’s, les dommages s’élèvent respectivement à environ 2000$, 3000$ et 2500$.
Raymond Perrier et Michel Slivitzky d’Environnement Canada , dans un rapport scientifique intitulé Survol des cas de pluies abondantes au Québec (1999) expliquent les causes de cette tempête de pluie du 2 au 4 novembre 1927 par une situation météorologique particulière : «De l’air tropical ayant causé une vague de chaleur aux États-Unis à la fin d’octobre est entraîné au Québec par une première dépression sur la baie d’Hudson tôt le 2 novembre. Puis des dépressions secondaires sur la Virginie et les Carolines aidées par une tempête tropicale en provenance de Cuba pompent un fort courant d’air excessivement humide au dessus de l’Atlantique venant alimenter la perturbation complexe responsable des pluies au Québec. »
Après ces pluies diluviennes, le beau temps ne revient pas tout de suite. En fait, selon le Centre de Ressources en Impacts et Adaptation au Climat et à ses Changements (CRIACC), le mois de novembre 1927 bat un record de précipitation avec 300 mm de pluie, soit 3 fois plus que la normale mensuelle. Selon le même organisme, la décennie 1920 à 1929 est marquée, dans la province du Québec, par un nombre élevé de pluies abondantes et d’inondations. D’ailleurs, le journal du supérieur du Séminaire, Léon Pratte en fait état. Il raconte, le 17 novembre 1927 : « La pluie est tombée abondante toute la nuit dernière et toute la journée. Elle est cessée dans la soirée de sorte que l’inondation menace encore. L’eau est très haute. » Le lendemain, 18 novembre, il écrit : « L’eau est très haute, moins qu’à la dernière inondation, mais il y a encore des maisons qui sont à l’eau. C’est désolant. Puis, un pont de chemin de fer a été gravement endommagé encore du côté de Richmond. Le bon Dieu veut faire réfléchir les hommes, il se fait tant de mal! » Le 22 novembre : « Il a plu depuis dix heures hier soir et toute la journée aujourd’hui et parfois d’une manière assez abondante de sorte que l’eau monte encore. C’est une véritable désolation que ces pluies abondantes. Depuis le commencement de novembre, c’est la troisième pluie de durée de plus d’une journée et c’est la troisième fois que l’eau s’introduit dans les maisons du bas de la ville. Partout à la suite de ces averses, il y a des dommages considérables, les voies ferrées sont détruites, nombre de ponts renversés, de sorte que la circulation régulière est interrompue. » Finalement, le 23 novembre : « La journée a été belle mais la pluie abondante d’hier a fait disparaître la gelée et il y a de la boue partout. Cette abondance de pluie hier a encore fait monter l’eau dans la ville et a causé de nouveaux dommages aux voies ferrées. »
Un énorme système météorologique combiné à la saturation du sol déjà gorgé d’eau (octobre 1927 a aussi connu des précipitations supérieures à la normale), à un moment de l’année où l’évaporation est pratiquement nulle expliquent les inondations qui ont causées tant de malheurs aux résidents des abords des cours d’eau en cet automne 1927. Heureusement, à Saint-Hyacinthe on ne déplore aucun décès suite à ce déluge.