Articles parus dans Le Courrier de Saint-Hyacinthe les 23 et 30 mai 2019.
Catégorie: Industries
Sous-catégorie: Aliments et boissons
Auteur: Vincent Bernard
Les débuts de l’entreprise
Né à Saint-Hyacinthe en 1905, Lucien Larivée se marie en 1930 avec Léontine Bourgeois. Selon les registres paroissiaux, il pratique à ce moment le métier de facteur d’orgues. C’est en mai 1932 que Larivée établit, en compagnie de son beau-frère Ernest-O. Picard – futur maire de Saint-Hyacinthe – les assises de son entreprise sur la ruelle Godbout, aujourd’hui connue sous le nom de l’allée des Cheminots. Il est possible de lire dans l’Annuaire-Guide de la ville et du comté de Saint-Hyacinthe de 1934 que l’entreprise, gérée par les deux hommes, emploie quatre personnes pour la fabrication et l’embouteillage d’eau minérale et de liqueurs douces, dont l’eau gazeuse La Charmeuse.
Dans l’annuaire de 1936, il est possible de lire que Lucien Larivée est distributeur pour la Carling Breweries, la Brading Breweries, ainsi que la O’Keefe Brewing. À ce moment, son entreprise est située sur la rue William – aujourd’hui Calixa-Lavallée. À la fin des années 1930, l’espace commence à manquer et Lucien déménage ses équipements dans le Bourg-Joli près de l’hôpital Saint-Charles, au coin des rues Laframboise et Blanchet. Il faut dire que durant cette même période, il commence à faire la distribution des produits Pepsi-Cola (1935) et ceux de la Brasserie Dow (1949).
Modernité et mécanisation
Dans Histoire du Québec Contemporain, il est souligné que c’est durant l’entre-deux-guerres que se : « répandent les nouveaux produits culturels, venant principalement des États-Unis, et qui offrent par excellence l’image prestigieuse de la modernité ». Cette modernisation de l’économie s’installe durant la Seconde Guerre mondiale et se concrétise en temps de paix, grâce notamment à la forte demande de rattrapage de la part des consommateurs qui ont dû se priver pendant la crise et la guerre.
L’essor économique d’après-guerre vient favoriser la croissance de la production industrielle – résultat de la mécanisation plus poussée et de l’automatisation des machines. Le cas de l’entreprise de Lucien Larivée s’inscrit dans cette tendance, alors qu’elle fait l’acquisition en 1959 d’une machine qui est selon Le Courrier : « des plus modernes et compliquée à souhait, capable de laver, emplir, capsuler 1 600 bouteilles à l’heure d’eaux gazeuses, ou liqueurs douces ».
En somme, la « modernisation de l’économie » est un vecteur déterminant de changement à Saint-Hyacinthe et marque le paysage manufacturier au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. À Saint-Hyacinthe et partout au Québec, la période d’après-guerre est marquée par une profonde transformation du secteur manufacturier. Contrairement aux secteurs du vêtement et du textile, qui sont en perte de vitesse au tournant des années 1960, les aliments et boissons se maintiennent au sommet des secteurs de production de la province.
Nous pouvons lire dans Histoire du Québec Contemporain que : « L’augmentation rapide de la population et l’amélioration du niveau de vie des Québécois dans l’après-guerre sont certainement des facteurs qui expliques sa croissance. Les industries les plus importante sont […] [entre autres] les eaux gazeuses, les brasseries et les distilleries ». C’est d’ailleurs durant cette période que l’entreprise Lucien Larivée Inc. obtient ses lettres patentes.
Modernité et bonne hygiène de vie
« Le Pepsi-Cola bat actuellement tous ses records de vente, au Canada et à l’étranger. C’est parce que le Pepsi est un breuvage moderne. Rien n’est trop bon pour sa fabrication. Jamais lourd, jamais trop sucré ni trop fort au goût, c’est un breuvage léger. Il rafraîchit sans alourdir. Prenez un Pepsi ».
Tirée d’une publicité de l’entreprise de Lucien Larivée publiée dans l’édition du 19 août 1955 du Courrier de Saint-Hyacinthe, cette citation est accompagnée de l’image d’une femme au regard séducteur. Selon l’historienne Caroline Durand, cette pratique est plutôt courante dès l’entre-deux-guerres et, à travers la publicité, les compagnies cherchent à combiner « des valeurs traditionnelles et modernes pour diffuser certaines conceptions des rôles féminins, de la famille, de l’individu et du corps ».
Au-delà de cette question du rôle traditionnel de la femme, les publicités – qui se retrouvent dans les journaux, revues, affiches et présentoirs de commerces – sont constamment répétées et «influencent les perceptions, les mentalités, et dans le cas de la nutrition, elles diffusent également certaines connaissances, en les simplifiant, les vulgarisant et souvent, en les exagérant et en les faussant ».
Ces campagnes publicitaires associent souvent un produit à de bonnes habitudes de vie, comme dans cette publicité retrouvée dans le Courrier du 11 juin 1959 : « Douce et invitante comme une journée de printemps … vive et limpide comme un rayon de soleil … Dow est la bière préférée de tous ceux qui mènent une vie active ». Cette volonté d’associer boissons et bonne hygiène de vie s’observe également lorsque l’entreprise de Lucien Larivée commandite un grand nombre d’événements sportifs dans la région et remet une multitude de prix afin de souligner les efforts de certains athlètes.
La fin d’une époque
De leur union, Lucien Larivée et Léontine Bourgeois auront trois filles : Odette, Francine et Suzanne, ainsi qu’un fils : Yvan. D’ailleurs, ce dernier s’est grandement impliqué dans l’entreprise familiale, notamment après le décès de Lucien survenu le 24 février 1977. La fin des années 1970 est marquée par une grève des employés préposés à l’embouteillage et à la distribution des liqueurs douces Pepsi. Ce conflit mène en partie à la fermeture de cette branche de l’entreprise. L’année 1989 est marquée quant à elle par la fusion des entreprises Molson et O’Keefe, qui construit l’année suivante un centre administratif régional dans le parc industriel Olivier-Chalifoux.
Cette réalité force Yvan Larivée, propriétaire de l’entreprise, à cesser ses activités liées à l’industrie de distribution et d’embouteillage de boisson sur la rue Blanchet. En 1991, il convertit les espaces de l’ancien entrepôt O’Keefe en un nouveau complexe commercial à vocation multifonctionnelle.