Article paru dans Le Courrier de Saint-Hyacinthe le 5 août 2021
Catégorie: Journaux
Sous-catégorie: Politique
Auteur: Martin Ostiguy
Le matin du 18 août 1936, le Québec se réveille avec un gouvernement qui n’est pas libéral pour la première fois depuis près de 40 ans. Qui plus est, c’est l’Union Nationale, un parti flambant neuf, qui prend le pouvoir avec une écrasante majorité, remportant 76 des 90 sièges que compte l’Assemblée Nationale à cette époque. Lors des élections précédentes en novembre 1935, Maurice Duplessis, chef du Parti Conservateur de la province propose une alliance avec Paul Gouin, chef de l’Action Libérale Nationale (ALN), une faction de libéraux mécontents de la façon dont leur parti géra la crise économique. Face à cette coalition, le parti libéral remporte le scrutin de justesse. Pour l’élection de 1936, rendue nécessaire par la démission du premier ministre Taschereau, Gouin est réticent à répéter pareille alliance mais Duplessis parvient à se défaire de sa présence encombrante et les membres de l’ALN fusionnent avec les conservateurs. Le 20 juin est fondée l’Union Nationale, qui gouvernera la province à peine deux mois plus tard.
Pour les Libéraux, il s’agit d’un grand choc, on le devine bien. Il y a longtemps qu’ils n’avaient connu pareille défaite, et ils n’ont qu’une idée en tête : reprendre le pouvoir dès la prochaine législature. Leur chef, Adélard Godbout a perdu dans son comté de L’Islet et c’est le député de Saint-Hyacinthe, Télesphore-Damien Bouchard qui devient chef de l’opposition en chambre. Bouchard est un libéral ‘rouge foncé’, comme on disait à l’époque. Il est reconnu pour ses prises de position très progressistes. Il prône, entre autres, l’éducation obligatoire et gratuite, la nationalisation de l’hydro-électricité, la taxation municipale des institutions religieuses, le vote des femmes. Il est également un anticlérical notoire, prônant avec force la séparation de l’Église et de l’État dans l’administration publique. Il est député de Saint-Hyacinthe, d’abord de 1912 à 1919 puis de 1923 à 1944.
Bouchard est convaincu que le gouvernement de Maurice Duplessis représente une grande menace pour ses idées avant-gardistes. Il croit que chaque action de l’Union Nationale au pouvoir doit être critiquée et démontée au fur et à mesure. Pour ce journaliste, seule une publication résolument libérale peut l’aider à parvenir à ses fins. Depuis 1903, il est le propriétaire du journal L’Union, l’organe officiel des libéraux à Saint-Hyacinthe dont il changera le nom pour le Clairon de Saint-Hyacinthe en 1912. Principal concurrent du Courrier de Saint-Hyacinthe, le Clairon est un journal qui fait la part belle aux nouvelles régionales. Certes, Bouchard profite de cette tribune pour propager ses idées, mais après la défaite magistrale de 1936, il a besoin d’un outil davantage politique et de portée moins locale. C’est alors qu’il a l’idée de fonder un nouveau journal de 4 pages (le Clairon en comptait 8) qu’il baptise En avant! Il le décrit lui-même comme un périodique de combat canadien-français, politique et littéraire.
Imprimé à Saint-Hyacinthe, En Avant! est distribué également à Montréal et à Québec. Bien que Bouchard ne s’empêche pas de citer assez souvent en exemple sa ville et son comté, il s’efforce d’embrasser des enjeux qui touchent chacune des régions de la province. Il s’agit d’un journal hebdomadaire paraissant le vendredi. Le premier numéro est publié le 15 janvier 1937. D’entrée de jeu, le propriétaire du journal promet que cette nouvelle publication défendra les opinions professées par les partis libéraux, tant au fédéral qu’au provincial. Il termine son premier éditorial par l’appel suivant :
EN AVANT! pour la défense de nos idées!
EN AVANT! pour la conquête du terrain que nous avons perdu dans la province!
EN AVANT! et sus à nos adversaires!
Lorsque parait le premier numéro du journal En Avant!, Télesphore-Damien Bouchard, propriétaire et rédacteur, promet que son journal ne sera pas que politique ; il sera également littéraire. Il entend donner une voix, comme il le dit lui-même aux ‘jeunes talents de la province possédant une plume alerte mais une mentalité un peu plus prime-sautière que celle généralement accueillie par nos feuilles actuelles’. Il demande à Valdombre, le célèbre polémiste et pamphlétaire, de diriger la portion littéraire du journal, intitulée La vie de l’esprit. Valdombre est en fait le pseudonyme de Claude-Henri Grignon, auteur qui a déjà publié à cette époque son grand succès, le roman Un homme et son péché. Valdombre fait découvrir aux lecteurs du journal plusieurs nouvelles œuvres qui deviendront des classiques de notre littérature. Par exemple, c’est dans l’édition du 26 mars 1937 d’En Avant! qu’il est question pour la première fois de Regards et jeux dans l’espace, de Saint-Denys Garneau, une œuvre majeure et avant-gardiste de notre poésie nationale. Mentionnons également les parutions, durant cette période, de Trente Arpents de Ringuet, des Engagés du Grand Portage de Léo-Paul Desrosiers et surtout de Menaud, maitre-draveur de Félix-Antoine Savard que Valdombre considère comme ‘le plus grand chef d’œuvre de notre littérature’.
La plupart des collaborateurs du journal signent leurs papiers par un pseudonyme. C’est ainsi que la chronique féminine intitulée Carnet d’une jeune maskoutaine est signée Bianca. Il s’agit en fait du pseudonyme de la fille de Bouchard, Cécile-Éna. Bianca fait profiter les lecteurs de ses nombreux voyages. Elle visitera, entre autres, l’Université Howard à Washington, une école qui forme à la médecine des femmes et des noirs, fait très rare à l’époque. Les nombreuses caricatures du gouvernement Duplessis, dans lesquelles le ‘cheuf’ est toujours représenté comme un cosaque enragé armé d’un knout menaçant, sont signées Carr Hack. Signalons aussi la présence régulière de Martial Ducrochet, de Lector ou encore du Convive Distrait.
Il demeure toutefois, qu’En Avant! est principalement un journal politique. Les discours prononcés par Bouchard à l’Assemblée législative y sont souvent reproduits intégralement. On s’attaque férocement à chacune des actions du gouvernement unioniste. On reproche à Duplessis toutes ses promesses violées, son obsession du communisme et surtout sa loi du cadenas qui fut particulièrement détestée par ses opposants politiques. En Avant! compare fréquemment Duplessis aux dictateurs fascistes européens, Hitler et Mussolini. Bouchard aime bien aussi associer le premier ministre à Adrien Arcand, le chantre de l’extrême-droite dans la province.
L’objectif principal du journal était de définir négativement, dans l’esprit des lecteurs, le premier gouvernement unioniste de l’histoire du Québec. On parle sans cesse de patronage, de duperies, de scandales. On laisse constamment entendre que Duplessis gouverne dans le non-respect des règlements. Évidemment, on se délecte des nombreuses embuches qui frappent l’administration, par exemple, les démissions de deux députés très en vue, Oscar Drouin et Philippe Hamel, anciens membres de l’Action Libérale Nationale qui se sentent trahis par Duplessis. Bref, pour En Avant!, le régime duplessiste est clairement le régime de l’incompétence.
En septembre 1939, le premier ministre veut profiter du débat sur la conscription qui fait rage dans la province et il déclenche des élections hâtives. Accusé d’avoir provoqué un déficit monstre, il espère pouvoir convaincre les électeurs effrayés par la guerre, de voter pour lui. Son pari échoue et le parti libéral d’Adélard Godbout est massivement élu. Durant la campagne électorale, En Avant! est passé de 4 à 8 pages. Bouchard est convaincu que son journal a contribué à la victoire de son parti.
En Avant! étant un journal d’opposition, il ne survit pas à la défaite de Duplessis. Le dernier numéro est imprimé le 8 décembre 1939.