Articles parus dans Le Courrier de Saint-Hyacinthe les 21 et 28 février 1995
Catégorie: Services
Sous-catégorie: Électricité
Auteure: Hélène Hébert
Le nom de Télesphore-Damien Bouchard fait partie intégrante de l’histoire de la nationalisation de l’électricité. Dès son jeune âge, il s’intéresse à l’électricité. Étudiant au Séminaire de Saint-Hyacinthe, il s’achète par catalogue des machines expérimentales pour s’initier aux phénomènes de l’électrochimie et de l’électricité statique et magnétique.
Élu conseiller municipal à Saint-Hyacinthe en 1905, il commence déjà à préconiser l’établissement d’une usine hydro-électrique municipale. En 1909, alors qu’il est greffier de la ville, il presse les autorités municipales de construire une usine électrique qui verra le jour en 1911 et demeurera en opération jusqu’en 1916. À titre de président de la Chambre de commerce maskoutaine, il fait faire une étude sur les besoins énergétiques de la municipalité et sur la possibilité de créer de nouvelles forces hydro-électriques à partir des chutes de la rivière Saint-François. En 1913, la Southern Canada Power Co. s’établit à Saint-Hyacinthe.
Devenu maire de la cité, Bouchard persiste à croire que la concurrence serait avantageuse pour le contribuable. Il rédige de nombreux articles et publie des brochures dénonçant l’abus des trusts que seule la municipalisation de l’électricité pourrait corriger. Député provincial du comté de Saint-Hyacinthe en 1912, il presse le gouvernement de voter une loi favorisant la municipalisation de l’électricité. En 1933, les Maskoutains appuient par voie référendaire le projet du maire Bouchard pour la construction d’une nouvelle usine municipale d’électricité.
Suite à l’adoption d’une loi autorisant la municipalisation de l’électricité, Bouchard se rend en Europe en compagnie de l’ingénieur Nicholas Sauer pour acheter les machines nécessaires à l’usine d’électricité. Logée dans l’édifice de l’Aqueduc municipal, à l’angle des rues Girouard et Dessaulles, l’usine d’électricité entre en opération en 1934. En peu de temps, l’expérience s’avère fructueuse et la municipalité maskoutaine démontre clairement que l’on peut produire et fournir de l’électricité à des prix défiant toute concurrence.
Aussitôt, dans le but évident de nuire à l’usine municipale, la Southern Canada Power Co. baisse ses tarifs dans la ville de Saint-Hyacinthe. En réponse aux tenants de la municipalisation ou de l’étatisation de l’électricité, dont Bouchard fait partie, Taschereau instaure une commission d’enquête publique sur l’électricité en 1934. Cette Commission est composée de l’Honorable Ernest Lapointe, député à la Chambre des communes, d’Augustin Frigon, ingénieur-conseil et directeur de l’École polytechnique et de George C. McDonald, comptable agréé. Édouard Rinfret agit à titre de secrétaire de cette Commission rapidement connue sous le nom de Commission Lapointe.
Le mandat des commissaires est d’enquêter sur des points précis comme l’étatisation, la municipalisation, les effets de la municipalisation des grands centres sur les régions rurales, l’examen des taux d’électricité en vue de la possibilité de les réduire et de façon plus générale sur la diffusion de l’électricité dans les municipalités rurales. Plusieurs organisations ouvrières, commerciales et municipales comme l’Union des municipalités du Québec mandatent Bouchard pour les représenter à la Commission Lapointe.
La Commission siège un peu partout au Québec et Bouchard, ne ménageant pas ses efforts, assiste à toutes les séances et y présente pas moins de quarante-huit exhibits. Le premier mémoire présenté à la Commission fut celui de l’Honorable T.-D. Bouchard, maire de Saint-Hyacinthe et président de l’Assemblée Législative du Québec.
L’usine d’électricité de Saint-Hyacinthe construite en 1934, entre en fonction peu de temps avant la fin de l’enquête ce qui permet à Bouchard d’affirmer devant les commissaires que la concurrence est le meilleur moyen d’empêcher les abus des trusts puisque la Southern Canada Power Co. diminue ses tarifs à Saint-Hyacinthe alors qu’elle les maintient élevés dans les autres villes qu’elle dessert comme Saint-Jean et Granby.
La Commission dépose son rapport le 21 janvier 1935 et recommande la création par l’État d’une commission permanente de l’électricité qui amène la mise sur pied de la Commission de l’Électricité qui deviendra la Régie provinciale de l’électricité. Suite à l’élection de 1936, Bouchard devient chef de l’opposition et ne cesse de harceler Duplessis pour qu’il étatise l’électricité comme il l’avait promis pendant sa campagne électorale. Pendant cette période, Taschereau, qui avait toujours considéré Bouchard comme un rustre est forcé de reconnaître que ce Maskoutain redonne un peu de crédibilité au parti libéral et en devient une grande vedette. Il lui sera désormais difficile de composer sans lui.
On connaît la suite. Bouchard poursuit sa croisade pour l’étatisation de l’électricité sous le gouvernement Godbout où il occupe le poste de ministre de la Voirie et des Travaux publics. Premier président d’Hydro-Québec, il est forcé de démissionner suite à son discours au Sénat qui semble bien anodin aujourd’hui mais qui a fortement secoué le Québec à l’époque.
Selon Pierre Chaloult, dans un article paru dans le journal La Patrie, pour la semaine du 24 au 30 décembre 1964, « T.-D. Bouchard, ministre sous Godbout, fera mieux que la pluie et le beau temps. Il réorientera l’administration du Québec. Il imagine une politique de voirie qui sera autrement que du patronage. Il imaginera une politique administrative qui sera autrement que de boucher des trous et de faire mine de s’agiter. Il imaginera une politique de nationalisation qui conduira à l’aménagement de l’Hydro-Québec. […] Malheureusement les libéraux qui ont la mémoire courte oublieront, dès 1944, ce qu’ils doivent à T.-D. Bouchard. »
Et, cet autre témoignage de la part d’Amédée Gaudreault dans Trente ans de journalisme, Montréal, les Éditions du Méridien, 1991.« Bouchard fut l’un des premiers et plus ardents protagonistes de l’éducation gratuite et obligatoire au Québec, de même que le grand promoteur de la nationalisation de la Montreal Light Heat and Power, donc le véritable père d’Hydro-Québec, n’en déplaise à ceux qui ne parlent que de ceux qui ont plus tard complété cette tâche. »
Yves Michaud, dans La Patrie, pour la semaine du 22 au 28 novembre 1962 écrit au sujet de T.D. Bouchard. « Décédé la veille des élections du 14 novembre (1962), au moment où le peuple du Québec s’apprêtait à se prononcer sur la nationalisation de l’électricité, question qu’il avait lui-même soulevée il y a plus de quarante ans, le petit gars du « marché à foin » a quitté ce monde en claquant la porte. »