Un avion s’écrase à Saint-Simon

Vers quatre heures de l’après-midi, le lundi 9 avril 1945, un quadrimoteur de type Boeing B-24 S « Liberator » tombe dans un champ fraîchement labouré du 2ième Rang de Saint-Simon. Quatre personnes sont tuées et seize sont blessées.

La Seconde Guerre mondiale qui faisait rage depuis près de six années en Europe allait prendre fin un mois plus tard; cependant la Royal Air Force Command continuait d’acheminer des avions de combat vers l’Angleterre. Cet après-midi-là, un de ces immenses appareils de bombardement venait de partir de Dorval lorsqu’un moteur connut des ratés avant de prendre feu puis de se détacher de l’avion pour tomber dans un champ de Saint-Jude appartenant à monsieur Ludger Cloutier. Ayant perdu de l’altitude et, ne pouvant rebrousser chemin, le pilote n’eut d’autre choix que de trouver un champ qui lui permettrait d’atterrir. Les derniers moments de vol furent dramatiques.

Le lourd appareil ne volant plus qu’à quelque 50 pieds du sol, accrocha le toit de la grange de monsieur Hector Perron, passa à quelques pieds au-dessus de la tête de son fils Gilles, puis s’abattit dans un fracas étourdissant à une cinquantaine de pieds de monsieur Perron qui labourait sa terre à ce moment-là. Les chevaux effrayés par le bruit de l’écrasement, entraînèrent monsieur Perron sur plusieurs pieds avant qu’il ne puisse les arrêter et lui permettre de revenir aider les gens à s’échapper de l’appareil qui venait de prendre feu.

Au même moment, monsieur René Plouffe de Saint-Barnabé, qui assistait à un encan à peu de distance de là, accourut sur la scène de l’accident pour aller porter secours aux occupants de l’avion qui commençaient à sortir à travers les flammes. Malheureusement, la ligne d’électricité arrachée par le passage de l’avion était tombée sur la clôture longeant le chemin. En voulant sauter dans le champ, monsieur Plouffe mit la main sur la clôture électrifiée et s’effondra. On le conduisit à l’Hôpital de l’École navale des Signaleurs de Saint-Hyacinthe où il mourait quelques heures plus tard.

Les journalistes dépêchés sur les lieux

Un quotidien de Montréal, La Patrie, dans sa livraison du lendemain 10 avril 1945, publiait une grande photo de la scène de la tragédie où apparaissaient les restes de l’avion démoli et la charrue de monsieur Hector Perron demeurée sur place. D’autres photos montraient la grange dont le toit avait été écorché par le passage de l’appareil en détresse, le moulin à vent dont l’hélice avait été emportée, la ligne électrique dont les fils avaient été arrachés. Pour accompagner le récit du drame, le journal avait ajouté les photos de la famille de monsieur Hector Perron qui avait échappé de justesse à la mort, des témoins Camille Carrière, Ovila Gadbois et d’autres personnes ayant participé au transport des blessés.

Page une du journal La Patrie du 10 avril 1945.
Première page du journal La Patrie du 10 avril 1945.

Le témoignage de monsieur Hector Perron recueilli par le journaliste vaut d’être évoqué : « J’étais à labourer, avec deux chevaux, lorsque j’entendis soudain le bruit d’un avion. Je levai la tête et le vis qui descendait dans la direction de la grange et je crus qu’il allait s’écraser sur la bâtisse. Mais non, les roues s’accrochèrent au toit de la grange et soulevèrent des feuilles de tôle mais l’avion continua, rasant les branches des arbres qui se trouvent devant la grange et arrachant les fils électriques le long de la route. L’avion s’en venait dans ma direction, mais j’oubliai de me sauver car, au même instant, j’aperçus mon fils Gilles, âgé de 4 ans, qui se trouvant juste devant la grange, entre le puits et un arbre, il me semblait que l’avion allait s’écraser sur lui. En moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, l’avion avait évité mon fils, traversé la cour de la grange et le chemin puis s’était écrasé dans la prairie où j’étais à labourer et, après quelques bonds, s’arrêta à environ 50 pieds de moi. Presqu’au même moment une terrible explosion, qui projeta flammes et fumée à plusieurs pieds dans les airs et autour de l’avion, se produisit. […] Au milieu des flammes et de la fumée qui enveloppaient l’avion, je vis s’échapper les unes après les autres un certain nombre de personnes. […] J’en vis trébucher sur le sol que je venais de labourer, sans avoir réussi même à pouvoir s’éloigner. D’autres se rendaient plus loin, dans toutes les directions, et s’écrasaient, trop blessés pour pouvoir continuer. […] Quelques instants plus tard, j’avais réussis à me traîner jusqu’à la clôture, j’allais traverser quand j’entendis des cris d’enfer de gens qui se trouvaient sur la route et qui m’avertissaient de ne pas toucher à la broche parce qu’elle était chargée d’électricité. Malgré mon énervement, je compris le danger de la situation et je reculai pour réfléchir un instant sur la meilleure ligne de conduite à suivre. Je saisis alors un pieu qui se trouvait près de moi et je m’en servis pour briser les fils sachant qu’ainsi le courant serait interrompu et que nous pourrions sortir de la prairie sans danger et transporter les victimes dans les maisons du voisinage.»

Le journaliste du Courrier de Saint-Hyacinthe écrivait dans l’édition du vendredi 13 avril : «[L’avion] volait alors si bas qu’il effleura la grange de Perron, décapita deux ou trois arbres, jeta à bas deux poteaux de la Southern Canada Power, fit explosion et en quelques secondes ne fut qu’une masse de flammes. Deux hommes brûlèrent dans les débris, mais on réussit à en tirer les autres, dont quelques-uns étaient affreusement brûlés. Deux d’entre eux furent conduits à l’Hôpital Saint-Charles de Saint-Hyacinthe, trois à l’Hôpital de l’École navale des Signaleurs, cependant que les autres étaient dirigés vers Saint-Lambert et Montréal. L’une des victimes était si blessée que les médecins durent lui faire une transfusion de sang sur les lieux, dans la maison de M. Perron, et l’on conservait peu d’espoir de lui conserver la vie».

Dans l’hebdomadaire Le Clairon du vendredi 13 avril 1945 on pouvait lire : «L’avion transportait vingt passagers, tous des aviateurs de la Royal Air Force Transport Command. […] Quatre des occupants s’en sont tirés presqu’indemnes et ils se sont rendus vivement au village de Saint-Simon afin de demander du secours de Montréal. Trois aviateurs ont péri sur la scène de l’accident et les treize autres ont été transportés vers les hôpitaux. […] Lundi soir à dix heures, soit six heures environ après l’accident, les flammes consumaient encore le vaste appareil. Un fort cordon, formé d’aviateurs, de marins de la station navale et de policiers dépêchés sur la scène de la tragédie contint la foule des curieux qui s’était amassée sur les lieux».

Des témoins racontent

Monsieur Aurèle Racine de Sainte-Rosalie avait dix ans à l’époque et se trouvait à l’école du 2ième Rang de Saint Simon à quelque 500 mètres du lieu de l’écrasement. Au sortir de l’école, il courut chez lui et, avec l’autorisation de sa mère, se rendit sur place où il put voir l’avion qui flambait dans le champ de monsieur Hector Perron. Monsieur René Plouffe qui venait d’être électrocuté était encore étendu par terre et tout le monde criait de ne pas toucher à la clôture. Puis quelqu’un parvint à retirer les fils électriques avec une gaffe et les gens purent aller porter secours aux passagers de l’avion qui s’échappaient les uns après les autres en trébuchant. « À un certain moment, disait-il, il devait y avoir 7 ou 8 blessés étendus sur la galerie de M. Perron. Et comme toujours plus de gens s’approchaient des victimes pour tenter de les aider, la galerie finit par s’écrouler sous leur poids. Tous ces blessés ne parlaient qu’anglais et, heureusement, un citoyen de Saint-Simon, M. Oswald Paradis, put servir d’interprète. Tous voulaient téléphoner à quelqu’un de leur famille pour les aviser qu’ils étaient vivants ». Comme on pouvait s’y attendre, la nouvelle de l’accident se répandit rapidement. Les spectateurs de plus en plus nombreux arrivaient sur les lieux nuisant ainsi aux personnes portant secours aux victimes. «Les policiers, selon M. Racine, durent imposer une circulation à sens unique vers le village de Saint-Simon, avec retour par la route Fournier puis par le chemin du Troisième Rang vers Saint-Hyacinthe. Les jours suivants, les militaires vinrent récupérer les débris de l’avion : on les voyait découper l’appareil à la torche et embarquer les morceaux dans les camions».

Monsieur Grégoire Corbeil de Sainte-Rosalie avait aussi dix ans à l’époque. «C’était pendant la récréation et, de la cour de notre école du 2ième Rang de Sainte-Rosalie, nous avons pu voir ce gros avion qui descendait à la hauteur des arbres. Nous avons couru vers le site de l’accident. L’avion flambait dans le champ et les cultivateurs voisins aidaient à transporter les blessés sur la galerie de monsieur Perron. Mon père, avec un voisin, transporta M. Plouffe qui venait d’être électrocuté en utilisant des perches de bois afin de ne pas être terrassé à leur tour. Une vingtaine d’années plus tard, alors que je labourais ce coin de terre qui appartenait à mon frère, André, ma charrue a déterré un morceau de tôle brûlée qui paraissait bien venir de l’avion qui était tombé à cet endroit». La maison qui se trouvait sur la terre de monsieur Hector Perron est toujours en place et, aujourd’hui, elle appartient à monsieur Gabriel Corbeil au 894, chemin du 2ième Rang de Saint-Simon.

quadrimoteur de type Boeing B-24 S « Liberator »
Appareil B24 Liberator en vol. Source: fr.wikipedia.org

Un bombardier populaire à l’époque

Ce bombardier quadrimoteur de type « Liberator » était entré en service dans l’US Air Force à partir de mars 1941. Armé de 10 mitrailleuses Browning et pouvant transporter près de 13 000 livres de bombes, son équipage était composé de dix hommes : un pilote, un co-pilote, un bombardier, un navigateur, un ingénieur de l’air, un opérateur radio, et quatre mitrailleurs. Au cours de la Seconde Guerre mondiale, 18 888 unités de ce modèle ont été fabriquées. Ce type d’appareil a été déployé sur la plupart des fronts prenant part, notamment, aux bombardements de la bataille de Normandie.

 

D’après les articles de Grégoire Girard publiés dans Le Courrier de Saint-Hyacinthe les 8 et 29 octobre 2008.

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