Article paru dans Le Courrier de Saint-Hyacinthe le 8 février 2006
Catégorie: Démographie
Sous-catégorie: Immigration
Auteur: Jean-Noël Dion
Saint-Hyacinthe, dont le tissu social a été l’un des plus homogènes au Québec, la ville la plus française d’Amérique, devient depuis quelques années une terre d’accueil et agit comme un lieu de rétention. À l’exemple des organismes qui traitent de ces arrivants, il serait bon de jeter un coup d’œil sur certains d’entre eux en terre maskoutaine.
La communauté noire est tissée de membres de différentes provenances : Afrique, Antilles notamment Haïti, États-Unis. Les recensements fédéraux jettent un peu de lumière sur son implantation en ville. Le nombre des personnes noires est peu élevé : de 11 personnes noires et mulâtres en 1851, on n’en dénombre qu’une seul dix ans plus tard sous la catégorie Personnes de couleur dans Saint-Hyacinthe paroisse. Il faut attendre l’année 1911 pour retrouver de nouveau deux membres de cette communauté sous la catégorie du mot en » N » et 1941 pour constater l’arrêt d’indication de cette rubrique sur les formulaires. Il est évident que le concept même du mot en » N « , est peu révélateur de l’origine du pays. Il fait référence à la couleur de la peau plutôt qu’à l’ethnie et n’est pas aussi déterminant que les autres catégories qui rappellent d’une façon significative la provenance, telles que les appellations Polonais, Chinois, Suisses, Français, Belges, Britanniques, Hollandais, Ukrainiens, Américains, etc.
À la lecture des résultats, on peut conclure qu’à Saint-Hyacinthe, la communauté noire a connu son cap en cette moitié du XIXe siècle. Cette affirmation est corroborée par Mgr Choquette dans son Histoire de Saint-Hyacinthe rédigée en 1930, qui en fait mention dans certains passages de son ouvrage.
Alors qu’il traite de l’incendie du 14 mai 1854 qui a réduit en cendres l’ancien collège devenu évêché (site de l’évêché actuel), il est question de la destruction, « causée par des flammèches transportées par le vent, de vastes écuries bâties au-delà du chemin de fer. Celles-ci abritaient une douzaine de chevaux coureurs tenus et entraînés en vue des fameuses courses de septembre organisées par le turf-club de Montréal-Saint-Hyacinthe. Il y avait là tout un corps d’employés – des noirs et des blancs -, dont le principal était le forgeron-ferrant, M. Olivier Chalifoux… » (p. 206). Combien de gens de couleur étaient-ils ? Le chroniqueur garde le silence à ce sujet. Il s’agit probablement de membres des communautés antillaise ou africo-américaine, anciens esclaves ou fils de certains d’entre eux qui ont été embauchés par les seigneurs locaux, les Dessaulles et Laframboise à qui appartenaient en grande partie les chevaux. Mentionnons qu’en Grande-Bretagne et dans ses colonies, les personnes noires ont le statut d’esclave jusqu’en 1833, date l’abolition de la servitude.
Plus loin, l’historien maskoutain rappelle que « le turf-club (au Rond Laframboise dit le mile) faisait courir au trot, le plus souvent au galop. Tom, un employé noir de M. Laframboise fut chargé un jour d’aller chercher un fameux trotteur aux États-Unis. Il partit avec la somme d’argent requise, se rendit peut-être en son ancien pays de Virginie ou de Kentucky, et revint fidèlement avec l’animal. Le retour par les chemins de terre avait duré trois semaines ! Tom, dont les hauts faits sont souvent racontés dans la famille Laframboise, résidait avec sa femme et plusieurs enfants […] à l’angle des rues Cascade et Saint-Hyacinthe (aujourd’hui Hôtel-Dieu) » (p. 263).
Au recensement de 1851, la famille de Maurice Laframboise compte effectivement un cocher et jardinier du nom de Bristol Barnsworth, 46 ans, natif de (Kindehosk ?) aux États-Unis. Le nom de l’épouse n’est toutefois pas indiqué. Les Laframboise demeurent en leur magnifique manoir de la rue Girouard à Saint-Hyacinthe auxquels le Patronage Saint-Vincent-de-Paul et les immeubles du Patro succédèrent. La famille quitte Saint-Hyacinthe en 1864 pour s’installer à Montréal.
Le recensement de 1851 indique la présence de onze membres de la communauté noire à Saint-Hyacinthe. Outre la famille du cocher et jardinier des Laframboise, les cinq personnes suivantes ont été recensées : Mary Grenn, 25 ans, native de Virginie ; Dianna Jackson, 43 ans ; Ellen Bosnith, 18 ans, étudiante ; Léonard Bosnith, 13 ans, ces derniers natifs de Kenderhosk?, É.-U. ; J.-J. Bosnith, 1 an, natif de Saint-Hyacinthe. Il est fait mention de plus qu’un « enfant de cette maisonnée est mort en 1851, âgé de 8 jours ».
L’hôtelier S.-W. Farguhar, 36 ans, semble avoir embauché quelques autres personnes de couleur, déduction faite selon la provenance : Speaker Truss, 25 ans, waiter, natif de Virginie ; Margaret Truss, 21 ans, housemaid, de Virginie ; Margaret Wilson, 50 ans, cook, veuve, native de Baltimore.
Comme on peut le constater, les communautés ethniques ont contribué et contribuent au développement du Québec, mais l’image que la population se faisait des immigrés, pour gênante qu’elle puisse paraître aujourd’hui, est presque devenue un lieu commun. Les arrivants constituent une main-d’œuvre à bon marché, que l’on dit analphabète, aux mœurs bizarres, de qui il faut se méfier. Heureusement, les temps ont changé.
Encore à la lecture de l’histoire maskoutaine, il est curieux de constater un certain préjugé dans les mentalités. Alors que Mgr Choquette rappelle la Guerre de Sécession américaine (1860-1865), la lutte des Nordistes contre les Sudistes esclavagistes, ces « planteurs de tabac, de coton, de canne à sucre, ces pachas entourés de troupeaux noirs… » (p. 279), il rend compte du poids des deux armées : l’une, celle du Sud, en apparence pauvre « ces belligérants sans navires de guerre, sans fabrique d’armes et de munition, démunis de toutes les nécessités de la guerre », mais forte en hommes de guerre ; et celle du Nord, bien équipée et préparée. « Et voici, ajoute-t-il, que ce petit peuple (Sudistes) fait mine de résister ; il résiste effectivement, victorieusement. Aussitôt nos vœux allèrent au petit, à David devant Goliath. Loin de comprendre cet état d’âme, qui n’est pas sans noblesse, les Nordistes entreprirent de punir comme un crime positif notre penchant pour leurs ennemis et ils trouvèrent le secret d’être cruels à l’excès » et ce par l’abandon en 1866 du traité de réciprocité commerciale canado-américain par lequel le Sud s’approvisionnait, des plus rémunérateurs et qui avantageait les provinces du Canada-Uni.
Le malheur des uns… Et à titre d’exemple, l’auteur affirme que durant la guerre, « les Nordistes exploitèrent à Upton, près des fermes de M. (Joseph) Pilon, ancien député de Bagot, un filon de galène qui rendit une soixantaine de tonnes de plomb. Un plomb canadien, maskoutain presque, aura contribué à l’abolition de l’esclavage des noirs ! » (p. 280).
Alors que Mgr Choquette traite de la Guerre de Sécession américaine et de son penchant, semble-t-il, pour les Sudistes, il prétend que l’accueil d’une noire, fille d’esclave, par des gens de chez-nous, est un geste déplacé. « Je trouve une preuve concrète, abusive presque, de ce sentiment dans la conduite d’une famille de Saint-Hyacinthe à l’égard d’une fille d’esclave née en Georgie. Cet énoncé éveille, je n’en doute pas, chez le vieux lecteur, le souvenir de la famille Léandre Boivin, au no 177, rue Girouard, et de sa pupille noire, Mademoiselle Guilmartin. Celle-ci vécut dans la maison Boivin comme une fille d’adoption, tenue au même rang que les autres et fréquentant comme eux la société de Saint-Hyacinthe. De manières plaisantes, instruite, distinguée, Mlle Guilmartin faisait oublier sa couleur pour laisser percevoir ses qualités intérieures et l’agrément de sa personne. Elles épousa M. Talbot, député de Bellechasse » (p. 279).
Le discours de l’ecclésiastique confirme la conception défavorable que l’on se fait à l’époque, envers les gens de couleur et envers les étrangers en général, surtout dans un petit milieu, refermé sur lui-même et qui n’est pas habitué à voir dans son entourage et à vivre quotidiennement avec des personnes originaires de pays lointains.