Dominique Gaspard au Séminaire de Saint-Hyacinthe

Originaire de la Nouvelle-Orléans, Dominique Gaspard fait partie du contingent d’élèves envoyé par les prêtres missionnaires de Baltimore au Séminaire de Saint-Hyacinthe. Il n’est pas le seul afro-descendant envoyé par cette communauté religieuse puisque Felix Pye et Julian Miller l’on précédé. Durant son séjour au Séminaire de Saint-Hyacinthe (1905-1911), Dominique Gaspard a publié un article pour le journal Le Collégien, daté d’avril 1910, intitulé « Le Séminaire et ses élèves noirs » conservé dans les archives du Centre d’histoire de Saint-Hyacinthe.

Gaspard avait été recommandé par un ancien élève du séminaire, le révérend Uncles, lui aussi afro-descendant. Le 30 août 1905, le révérend écrit à l’abbé Choquette pour dresser le portrait du jeune homme et adresser une lettre de recommandation : « M. Gaspard a étudié le latin pendant deux ans ; il a traduit plusieurs chapitres De Bello Gallico. Quant au français, c’est sa langue-mère ».

Dominique Gaspard. Centre d’histoire de Saint-Hyacinthe, Fonds CH001 Séminaire de Saint-Hyacinthe.

L’hospitalité des prêtres du collège maskoutain semble marquer la plupart des élèves. Gaspard rapporte, qu’en 1905, le révérend Uncles qui a séjourné au séminaire entre 1883 et 1888 : « leur parle longuement de son cher Séminaire, de ses bons maîtres et de ses gentils condisciples ». Lors de cette conversation rapportée par Gaspard, le révérend insista sur le bon esprit qui régnait parmi les élèves de son temps :

« Déjà nous sentions que nous n’avions rien à craindre des Canadiens Français et catholiques ; nos yeux ne seraient plus les témoins des injustices si fréquentes que nous avions constatées dans le sud des États-Unis. (…) À notre arrivée au Séminaire, nous reconnûmes avec joie que la manière d’agir des écoliers d’autrefois n’avait pas changé. Depuis lors nous n’avons cessé de nous convaincre que les institutions catholiques au Canada français ne connaissent pas de race supérieure ou inférieure, que l’écolier noir y jouit des mêmes privilèges que ses condisciples blancs. Les élèves noirs ne sont pas forcés de s’y tenir à l’écart et de dédaigner la porte de devant pour entrer par une porte latérale, comme leurs nationaux sont condamnés à le faire dans certaines églises catholiques de la Louisiane et d’autres états du sud. En un mot, ils sentent qu’ils ne sont pas dans la maison des intrus simplement tolérés ».

Le Séminaire de Saint-Hyacinthe est perçu comme un véritable petit paradis où l’on semble démontrer une certaine pensée libérale qui se distingue des positions racistes ou ambiguës. Les élèves noirs ne sont pas considérés comme des citoyens de seconde zone. Ils sont intégrés aux classes, aux associations, aux activités et aux jeux. Selon Daniel Gay, dans son ouvrage Les Noirs au Québec, 1629-1900, (Éditions Septentrion), cette pensée est aussi partagée par Louis-Antoine Dessaulles et ses amis intimes, « dont les sympathies envers les esclaves noirs américains et leur lutte en faveur de l’abolition de la servitude étaient publiques et constantes » (p. 336). Une sorte d’humanisme voire un certain multiculturalisme s’était donc installé au collège plutôt qu’un nationalisme ethnique, fort répandu et bien détestable.

Plus tard, l’abbé Athanase Saint-Pierre laisse aussi une description de Dominique Gaspard, avec tous les préjugés de l’époque. Cependant son témoignage est précieux puisqu’il rappelle les difficultés d’intégration du jeune homme :

« Il était beaucoup plus n**** que Uncles. Il avait alors plus de quinze ans et il avait commencé ses études dans son pays natal puis il entra en méthode… Il fit des progrès sensibles. Venu de si loin, il passait ses vacances à Saint-Hyacinthe et il servait les tables au cours de retraites. Il finit son cours à l’époque des grandes fêtes du centenaire du collège en juin 1911. Il faisait partie de la fanfare et de l’orchestre, ne jouant pas seulement le tam-tam accoutumé aux gens de sa couleur. Puis parce que n****, il n’en était pas moins affectionné de ses condisciples. J’ai lu avec plaisir ce qu’il a écrit sur la façon dont les gens de couleur sont traités au collège de Saint-Hyacinthe par les catholiques canadiens-français. Et dans son cœur, ces derniers occupent une place autre que les blancs des États du Sud.

Son cours classique terminé, Dominique Gaspard se crut appelé à la vie religieuse, peut-être aux fonctions de missionnaire auprès des hommes de sa race et il demanda son entrée dans l’ordre de Saint-Dominique, son saint patron. Ce fut presque une révolution au couvent de Saint-Hyacinthe avant d’admettre un noir à revêtir la robe blanche des dominicains. La première impression passée, on se ressaisit, la répugnance devint moins forte et on l’accepta d’autant plus que le sujet était précieux et nullement à dédaigner sauf pour la couleur de son visage. Par malheur, il ne persévéra point. Il sortit du couvent pour étudier une profession libérale à Montréal.

En 1913, Dominique Gaspard subissait avec succès l’examen sur toutes les matières enseignées pendant la première année des études de la médecine à l’Université Laval de Montréal. Comme prédicateur, il eut pu se présenter devant blancs et noirs. Comme médecin, beaucoup de mères le craindront pour leur progéniture ».

M. Gaspard étudia la médecine et s’enrôla pour la guerre en mars 1915.

 

D’après l’article de Jean-Noël Dion paru dans le Courrier de Saint-Hyacinthe le 8 mars 2006.

Depuis la parution de cet article, d’autres chercheurs se sont intéressés au Dr Dominique François Gaspard (1884-1938), un pionnier de la communauté noire de Montréal. En 2024, il a été désigné personnage historique national par le gouvernement canadien.

Pour en savoir plus :

Dominique Gaspard (article de l’encyclopédie canadienne)

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