Et voici la télévision!

Article paru dans Le Courrier de Saint-Hyacinthe en février 1996

Catégorie: Arts et culture

Sous-catégorie: Télévision

Auteur: Paul Foisy

Le 26 octobre 1951, dans le sous-sol du marchand de radios et d’accessoires de bureau A. Létourneau, situé au 1345 rue des Cascades, quelques copains se regroupent devant un petit téléviseur Marconi de 10 pouces. Au préalable, ils avaient installé une antenne de soixante pieds sur le toit de l’édifice. Sur l’écran enneigé, se dessinent de faibles images du dernier combat de Joe Louis, le célèbre boxeur. À l’instar de ce groupe d’amis, de nombreux Maskoutains ont eu le privilège d’assister à la naissance de la télévision. Pour les générations subséquentes, les premiers instants de ce puissant médium, qu’est devenu la télévision, leur sont totalement inconnus. Nous tracerons un bref historique de l’avènement du petit écran dans la région de Saint-Hyacinthe.

C’est le 2 octobre 1925 que John Baird, un physicien écossais, réussissait pour la première fois à transmettre l’image de la télévision à quelques mètres de distance. Par la suite, différents chercheurs occidentaux travaillent à mettre au point ce nouveau média.  Des premiers postes récepteurs de télévision fascineront la population à l’Exposition Universelle de 1937. Bien qu’à cette époque, les Français et les Britanniques avaient réussi à établir des chaînes de télé,  la Deuxième Guerre mondiale viendra interrompre les progrès de la télévision en Europe.

De ce côté-ci de l’Atlantique, à la foire mondiale de New York, en avril 1939, des démonstrations d’émissions pour le grand public seront présentées au peuple américain, marquant ainsi l’ouverture du réseau NBC. En 1947, débutera aux États-Unis la construction de nombreuses stations. Au début de l’année 1952, il y avait  quinze millions d’appareils récepteurs de télévision chez nos voisins du Sud: 57% de ces récepteurs se retrouvent dans le Nord-Est des États-Unis. En avril 1952, le “Final Televison Allocution Report” définit les normes nationales; on prévoit la construction de 2000 stations privées réparties sur tout le territoire américain.

Au Canada, le gouvernement libéral de Louis S. St-Laurent établira un plan de développement intérimaire en mars 1949. L’idée maîtresse de ce plan est d’assurer un système public, typiquement canadien, afin de se protéger de l’envahisseur américain. En 1951, la Commission Massey émet des recommandations visant la création d’un réseau national; les principales régions du Canada se doteront d’une station de télévision et seront nécessairement affiliées à la Canadian Broadcasting Corporation (CBC). À Montréal, l’ouverture de CBFT, aujourd’hui Radio-Canada, se fera le 6 septembre 1952.

Avant d’aborder les débuts de la station montréalaise, regardons ce qui se passe dans la région maskoutaine.

Au début des années 1950, Le Courrier de Saint-Hyacinthe et Le Clairon publient divers articles de vulgarisation technique et de renseignements sur l’avènement du petit écran. Une première publicité sur la télévision sera publiée le 27 avril 1951 dans Le Courrier de Saint-Hyacinthe. Le 11 janvier 1952, Guy Gagnon, le rédacteur en chef du Clairon, abordera l’expansion de la télévision dans le monde. Le journaliste y expliquera très bien le contexte canadien:  « un seul véritable problème se pose au Canada: les programmes. C’est la question la plus importante que devra solutionner Radio-Canada afin d’empêcher que notre télévision ne devienne tout bonnement une succursale américaine ». Ici  et là dans Saint-Hyacinthe, quelques postes-récepteurs captaient faiblement des images provenant du Nord-Est des États-Unis.

C’est le 6 septembre 1952 qu’a lieu l’inauguration de CBFT. Pour l’occasion, treize pays envoient leurs félicitations. Ces messages ainsi que le discours du premier ministre St-Laurent sont diffusés dans le cadre des cérémonies d’ouverture de la nouvelle station montréalaise. Deux jours plus tard, c’est le début de la programmation régulière.

L’examen des journaux maskoutains permet de retracer les étapes qui ont mené à l’ouverture de la nouvelle station. Le 10 mars 1950, Le Clairon titre: “Deux postes de télévision pour la ville de Montréal”. La Société Radio-Canada a reçu du Ministère fédéral des Transports l’autorisation d’utiliser deux canaux de télévision à Montréal; les communautés anglophones et francophones pourront ainsi regarder la télévision dans leurs langues respectives. Durant ses premières années d’existence, la chaîne montréalaise diffusera une programmation bilingue. Mais cette décision présuppose la mise en place de moyens de production et de diffusion. Ainsi, après de multiples tergiversations entre les différents paliers de gouvernement, Radio-Canada obtient la permission d’établir un émetteur de télévision sur le Mont-Royal. Le Courrier du 4 mai 1951 indique que l’inauguration des nouveaux studios de la Société, rue Dorchester ouest, se fera le 8 mai 1951. Cet article décrit également les caractéristiques du dispositif émetteur du Mont-Royal:  « La tour, qui mesurera au moins 300 pieds, aura une base de 40 x 40 pieds. Au sommet, l’antenne du premier poste de TV. Ensuite, les deux antennes de FM. Puis un espace réservé à l’expansion. » Il est important de noter, que lors de l’ouverture de la station en septembre 1952, une antenne temporaire de 70 pieds était utilisée. La Guerre de Corée ayant provoqué une pénurie d’acier, l’antenne permanente sera opérationnelle le 4 décembre 1952.

Gagnante téléviseur portatif
L’heureuse gagnante d’un téléviseur portatif lors d’un concours organisé par CKBS en 1964. Centre d’histoire de Saint-Hyacinthe, Fonds CH548 Raymond Bélanger, photographe.

Le mois de mars 1952 reste marquant dans l’histoire de Radio-Canada car le 7 mars, le Clairon, dans sa chronique « À Radio-Canada », donne des informations sur les premières émissions publiques diffusées hors studio à la télévision. Dans le cadre de l’exposition de l’électricité au Palais du Commerce, tenue du 10 au 14 mars, des émissions réalisées aux studios de Radio-Canada seront présentées sur des récepteurs mis en montre par les différents fabricants. Les spectateurs assisteront en soirée à plus de deux heures d’émissions bilingues. Cette exposition remporta un vif succès puisque Le Courrier titre en date du 28 mars, en page 10: « Les écrans de télévision attirent la foule. » En effet, plus de 12 000 personnes se précipitèrent chaque soir vers les écrans de télévision afin de satisfaire leur curiosité et découvrir ce nouveau médium.

À l’été 1952, les familles équipées d’un poste de télévision voient apparaître les premières images. Un ensemble de cercles et de figures géométriques associé à un dessin représentant un autochtone muni d’une coiffe constituent la mire de réglage. Les plus vieux se souviendront sans doute de ce « fameux indien ». Puis le 25 juillet, le car de reportages de Radio-Canada entre en service. La première émission diffusée sur les ondes de CBFT sera une joute de base-ball des Royaux de Montréal retransmise directement depuis le Parc Delorimier. Après cette date, deux blocs d’émissions expérimentales sont présentés, du 27 juillet au 6 août, et du 29 août au 6 septembre. Les émissions régulières débutent ainsi le 8 septembre 1952.

L’apparition d’un récepteur de télévision dans le salon des familles québécoises occasionne un certain émoi. Ainsi, plus souvent qu’autrement, les enfants de la maison doivent laisser la place à la visite qui accoure en grand nombre afin de regarder les différentes émissions diffusées par Radio-Canada. Malgré cet attrait de la nouveauté, à peine 9,7% des foyers possèdent la télévision en 1953. L’augmentation du nombre d’heures de diffusion et la complète francisation de CBFT au début de l’année 1954, provoquent une soudaine hausse de ventes de récepteurs: en 1955, 38,6% des familles ont un poste de télévision à la maison.

Le 23 janvier 1953, Le Clairon publie son premier horaire de télévision. À cette époque, CBFT est une station bilingue; elle diffuse des programmes français et anglais. Cette situation provoque de nombreux mécontentements: les grands journaux francophones et anglophones de Montréal réclament, pour leur communauté respectives, une plus grande part d’émissions. La communauté francophone a sensiblement raison dans ses récriminations puisqu’en juin 1953, elle compte pour 84% de la population desservie, et n’obtient qu’à peu près 67% des émissions. Certaines semaines, la part des programmes anglais peut même atteindre 40 à 50% du temps d’antenne! Radio-Canada remédie à la situation en créant un poste anglais, CBMT, le 10 janvier 1954.

Le divertissement occupe une place importante dans la grille horaire de Radio-Canada. Dans ses quatre premiers mois d’existence, de septembre à décembre 1952, les émissions de divertissement comptent pour 73% du total de la programmation. Un des premiers grands feuilletons de la télévision québécoise est sans aucun doute « La Famille Plouffe ». Cette chronique de la vie quotidienne d’une famille ouvrière de Québec est diffusée, en direct, le mercredi soir, du 4 novembre 1953 au 29 mai 1959. D’autres émissions populaires meublent les soirées des années 1950:  « Le Survenant » (1954-1960), « Cap-aux-sorciers » (1955-1958), « Les belles histoires des pays d’en haut » (1956-1970) et « La pension Velder » (1957-1961).

Second et dernier article de la série

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