Article paru dans Le Courrier de Saint-Hyacinthe le 19 janvier 2023
Catégorie: Journaux
Sous-catégorie: Langue française
Auteur: Martin Ostiguy
Le 17 avril 1886, le supérieur du Séminaire de Saint-Hyacinthe, le chanoine Jean-Rémi Ouellette, est à Worcester, Massachussetts, pour prononcer l’oraison funèbre du journaliste Ferdinand Gagnon, décédé l’avant-veille. Plus de 5000 personnes assistent aux obsèques de Gagnon qui ont lieu en grande pompe. Qui est ce personnage qui mérite tant d’éloge et de reconnaissance?
Ferdinand Gagnon est né à Saint-Hyacinthe le 8 juin 1849. Il est le fils de Jean-Baptiste Gagnon et d’Élizabeth Marchessault. Il étudie au Séminaire entre 1859 et 1865. À sa sortie du collège, il travaille durant deux ans au bureau des avocats Arthur-Prisque Letendre et Honoré Mercier. Puis, en janvier 1868, il va rejoindre ses parents qui se sont installés aux États-Unis depuis quelques mois. On estime à 200 000 le nombre de Canadiens français qui ont quitté le Québec pour les États-Unis. Il se crée rapidement de petites communautés francophones le long de la côte Est mais elles sont souvent désorganisées. Dès son arrivée en sol américain, Ferdinand s’intéresse aux problèmes de ses compatriotes émigrés et décide de leur venir en aide.
S’il prône un temps la cause du rapatriement au Canada, il comprend vite que la population francophone est décidée à demeurer sur leur terre d’accueil. Il soutient alors le principe de la naturalisation. Les Franco-Américains doivent devenir des citoyens américains à part entière s’ils veulent faire valoir leurs droits. Dans son oraison funèbre, le chanoine Ouellette met l’accent sur le patriotisme de Ferdinand Gagnon. Il souligne que le Maskoutain d’origine ne voulait pas voir s’éteindre la langue française et la culture canadienne aux États-Unis. Il a travaillé sans relâche pour que ses compatriotes n’oublient jamais leurs devoirs religieux, linguistiques et culturels.
Le 25 février 1869, Ferdinand Gagnon réalise un rêve qu’il caresse depuis longtemps. Il fonde son propre journal hebdomadaire, La Voix du peuple. Pour des raisons financières, l’aventure ne fait pas long feu et le journal cesse de paraitre dès septembre. En octobre 1869, Ferdinand épouse Malvina Lalime, elle-même native de Saint-Hyacinthe. Le couple aura sept enfants. Installé à Worcester, il publie plusieurs journaux éphémères avant d’achever son œuvre capitale : la fondation du journal Le Travailleur en octobre 1874. Sa profession de journaliste ne lui permettant pas de faire vivre sa famille, il s’associe à son beau-frère, Alfred-G. Lalime, fabricant de drapeaux et insignes pour les sociétés de bienfaisance.
En 1882, Ferdinand Gagnon est naturalisé américain. Il n’abandonne toutefois pas la mission qu’il s’est donnée. Cette même année, il déclare : « Histoire pour histoire, traditions pour traditions, je préfère celles de mon pays natal […] Je suis fier et orgueilleux d’être Canadien français. » Il demande sans cesse à l’élite et au clergé de tout faire pour recréer aux États-Unis l’image de la patrie canadienne avec ses écoles, ses églises, ses journaux et sa fête nationale. Pourtant, échaudé par la pendaison de Louis Riel, il nourrit la crainte que certains de ses compatriotes veuillent se rebeller à la manière des Métis du Manitoba et que tout ceci se termine mal. Cette attitude tiède face aux revendications des franco-américains les plus nationalistes lui vaut des reproches de la part de certains de ses amis.
C’est durant cette polémique que Ferdinand Gagnon rend l’âme à l’âge de 36 ans. Très corpulent, il est atteint d’une grave affection des reins. Dans son oraison funèbre, le chanoine Ouellette affirme que les franco-américains ont perdu l’un de leurs plus solides alliés.