Articles parus dans Le Courrier de Saint-Hyacinthe les 22 juin et 6 juillet 2023
Catégorie: Politique
Sous-catégorie: Députés provinciaux
Auteur: Martin Ostiguy
Le 3 novembre 1878, le premier député de notre circonscription, le libéral Pierre Bachand, trésorier de la province, meurt en fonction. Pour le remplacer, le premier ministre Joly de Lotbinière arrête son choix sur Honoré Mercier. Certes, ce dernier vient d’être battu dans le comté à l’élection fédérale du 17 septembre, mais par une courte majorité. De plus, Mercier est un orateur redoutable qui sait se faire apprécier des foules grâce à sa façon simple et émouvante de s’adresser à son auditoire. Joly, inquiet de la popularité grandissante de Joseph-Adolphe Chapleau, un jeune conservateur également très talentueux, est convaincu que Mercier est l’homme qu’il lui faut. Il le nomme donc solliciteur général dans son gouvernement pour lui donner du poids. Le 3 juin 1879, lors de la partielle, Mercier défait le conservateur Antoine Casavant, également battu l’année précédente par Pierre Bachand, et devient le second député de Saint-Hyacinthe à l’Assemblée nationale.
Enfance et jeunesse
Honoré Mercier est né le 15 octobre 1840 à Saint-Athanase d’Iberville. Il est le fils de Jean-Baptiste Mercier, cultivateur et de Marie-Catherine Timineur (Kemener). Jean-Baptiste est très proche des Patriotes lors de la Rébellion de 1837. Il fait même de la prison pour avoir aidé deux d’entre eux à fuir vers les États-Unis. Grand admirateur de Louis-Joseph Papineau, il est un libéral convaincu et son fils baignera toute son enfance dans cet environnement hautement nationaliste. En septembre 1854, le jeune Honoré fait son entrée au Collège Sainte-Marie à Montréal, une école tenue par les Jésuites. Il sera, dit-on, un élève exemplaire possédant un don certain pour l’organisation et la prise de parole. Il quitte le collège en 1862 et va apprendre le droit à Saint-Hyacinthe auprès des avocats Maurice Laframboise et Augustin-Cyrille Papineau, le neveu de Louis-Joseph. Il poursuit ses études à Montréal en 1864, avant d’être reçu avocat l’année suivante.
Le journaliste
Mercier est fondamentalement un homme d’idées. Il est également décidé à servir ses concitoyens et sa patrie avec une grande ferveur. Voilà pourquoi, durant ses études, il s’adonne au journalisme dans les pages du Courrier de Saint-Hyacinthe, journal pourtant conservateur. En effet, à cette époque, Mercier prend ses distances avec les libéraux qu’il trouve trop anticléricaux à son goût. Son éducation chez les Jésuites a contribué à faire naitre en lui un fort sentiment religieux. De plus, il est convaincu que cette grande rivalité entre bleus et rouges, typiquement canadienne-française, joue le jeu des Canadiens anglais qui profitent de ce déchirement fratricide. Il se dit alors indépendant d’esprit. C’est ainsi qu’il n’hésite pas, lors d’une élection partielle dans Bagot, à appuyer le candidat conservateur contre la volonté de ses patrons Laframboise et Papineau. Toutefois, le débat sur la confédération le fait revenir dans le giron libéral. Il est contre ce projet qu’il considère dangereux pour l’avenir des francophones. Il est contre également la représentation proportionnelle de l’Ouest canadien au Parlement du Canada-Uni, autre menace pour les Canadiens-français. Dans ce contexte, il n’a d’autre choix que de quitter son emploi au Courrier en mai 1864.
Vie familiale et professionnelle
En 1865, une fois ses études terminées, il s’installe à Saint-Hyacinthe où il épouse Léopoldine Boivin le 29 mai 1866 à la Cathédrale de Saint-Hyacinthe. Le couple aura une fille, Éliza, qui épousera Lomer Gouin, premier-ministre du Québec de 1905 à 1920. Léopoldine, qui a toujours eu une santé chancelante, meurt le 16 septembre 1869. Mercier épouse en secondes noces Virginie St-Denis, de douze ans sa cadette, le 9 mai 1871. Ils auront cinq enfants, dont Honoré Mercier fils (1875-1937) qui sera député du parti libéral du Québec dans la circonscription de Châteauguay de 1907 à 1936.
En plus d’exercer sa profession d’avocat criminaliste, Mercier continue de s’investir dans la vie politique et intellectuelle de sa ville d’adoption. Il participe activement à la fondation de l’Union catholique de Saint-Hyacinthe, un cercle de débats qui favorise la confrontation des idées. Pendant un temps, il en sera le président.
Député fédéral dans Rouville
Toujours convaincu que l’intérêt national devrait passer au-dessus des considérations partisanes, il se joint en 1871 au tout nouveau Parti National, fondé par Louis-Amable Jetté et Frédéric-Ligori Béïque. Cette formation fédérale se veut une coalition entre libéraux et conservateurs ayant pour but de transcender la sempiternelle rivalité entre les rouges et les bleus. Mercier participe à l’élaboration du programme et il est nommé secrétaire du parti. Il se présente sous sa bannière aux élections du 28 août 1872 dans Rouville. Mercier est élu et il se rend à Ottawa où il déchante rapidement. Il s’aperçoit que le parti national, qui n’a fait élire qu’un petit nombre de députés, se retrouve, dans les faits, à siéger aux Communes aux côtés des libéraux d’Alexander Mackenzie qui apprécie peu Mercier et ses idées nationalistes. En mai 1873, Mercier prend fait et cause pour les Acadiens du Nouveau-Brunswick qui demandent de gérer eux-mêmes leurs écoles. Dans son premier discours en chambre, il prône la prérogative des droits des minorités sur la majorité et il mentionne même l’intérêt pour le Canada de faire son indépendance de l’Angleterre. Mackenzie est courroucé et il demande à Mercier de respecter la ligne de parti. Lorsque le gouvernement conservateur de MacDonald tombe à cause d’un scandale, Mackenzie forme un cabinet dans lequel aucun des députés du Parti National n’est présent. Mercier comprend le message et il décide de ne pas se représenter aux élections de 1874. C’est ainsi qu’il quitte la scène politique fédérale. Il se consacre alors à sa famille, sa carrière d’avocat et au développement économique de sa ville. Cette même année 1874, il est l’un des fondateurs de l’aqueduc de Saint-Hyacinthe.
Premier passage au pouvoir
En 1878, Honoré Mercier décide à nouveau de tenter le coup en politique fédérale et il se présente dans le comté pour les libéraux. Les conservateurs remportent toutefois l’élection par une mince majorité de six voix. C’est alors que le premier-ministre provincial Joly de Lotbinière demande à Mercier de se présenter à l’élection partielle de juin 1879. Il remporte le suffrage et siège désormais à Québec. Il ne demeurera pas longtemps au pouvoir, le gouvernement Joly basculant dans l’opposition dès octobre lorsque cinq députés libéraux votent contre une décision de leur propre administration. Cette volte-face permet aux conservateurs de Chapleau de se réinstaller au pouvoir. En février 1880, le nouveau premier-ministre approche Mercier pour lui proposer la formation d’un gouvernement de coalition. Les conservateurs et les libéraux sont aux prises avec leurs branches radicales (les ultramontains dans le premier cas et les anticléricaux dans le second). Chapleau et Mercier espèrent leur rabattre le caquet par cette coalition mais le projet secret s’évente rapidement et n’aboutit pas.
L’affaire Louis Riel
En 1881, des élections ont lieu et Mercier est réélu sans opposition. Il décide quand même de quitter Saint-Hyacinthe pour s’installer à Montréal où il vise une meilleure clientèle. Il demeure toutefois député du comté. En 1883, Joly de Lotbinière quitte la tête du parti libéral et il désigne lui-même son successeur : Honoré Mercier. Notre député devient dès lors chef de l’opposition. Cette même année, il renoue avec le journalisme en fondant le quotidien Le Temps, un journal résolument libéral. Puis en 1885, survient l’affaire Louis Riel. Le chef des Métis du Manitoba est pendu à l’instigation des conservateurs fédéraux de John A. MacDonald. Cette exécution est décriée unanimement au Québec et dans son célèbre discours prononcé au Champ-de-Mars à Montréal, Mercier accuse les conservateurs québécois, dont l’ancien chef Chapleau siège désormais à Ottawa, d’avoir contribué à cette infamie. Son discours qui débute par les mots «Riel, notre frère, est mort» frappera les esprits pour de nombreuses années. Mercier profite de la situation pour rallier à sa cause certains conservateurs en désaccord avec la pendaison de Louis Riel. En 1887, Mercier devient premier-ministre du Québec. C’est la seule fois qu’un député du comté de Saint-Hyacinthe accèdera à ce poste.
De retour au pouvoir!
Dès son accession au pouvoir, Mercier organise la première conférence interprovinciale de l’histoire de la Confédération. Le premier-ministre MacDonald, en désaccord avec l’initiative n’y participe pas. Mercier, avec l’appui du premier-ministre de l’Ontario, Oliver Mowat, milite en faveur d’une plus grande autonomie des provinces et condamne l’aspect hautement centralisateur du parlement fédéral.
À l’intérieur de la province, l’un des principaux problèmes auquel fait face son gouvernement, c’est l’exode des Canadiens français vers les États-Unis. Pour contrer ce phénomène, Mercier crée en 1888 le ministère de la colonisation. Le curé Antoine Labelle, pourtant conservateur, accepte de devenir sous-ministre du nouveau ministère. Mercier, en contrepartie, investit dans le développement des chemins de fer et dans l’agriculture. Socialement, le gouvernement Mercier se situe à gauche de l’échiquier politique. Il fait voter des lois pour fortifier le respect du nombre d’heures de travail ; il améliore les conditions de travail des femmes et des enfants dans les manufactures ; il investit dans l’éducation publique ; il met sur pied l’ouverture de bibliothèques publiques.
En 1890, il déclenche des élections. Cette fois, il ne se présente pas à Saint-Hyacinthe mais plutôt dans Bonaventure, où il est facilement élu. C’est un confrère avocat, Odilon Desmarais, qui sera élu député libéral dans notre comté.
Les dernières années
La fin de carrière de Mercier est plutôt pénible. En août 1891, éclate le scandale de la Baie des Chaleurs. Le grand organisateur du parti libéral, Ernest Pacaud, est accusé d’avoir détourné des fonds devant servir au développement d’un projet de chemin de fer. Les conservateurs, convaincus que Mercier devait être au courant de la malversation, demandent une enquête. Le lieutenant-gouverneur Auguste-Réal Angers, démet le premier-ministre de ses fonctions et demande aux conservateurs, pourtant fortement minoritaires, de former le gouvernement. Des élections ont lieu en mars 1892 et les libéraux de Mercier sont battus à plate couture. Mercier demeurera très amer à la suite de cette défaite, d’autant plus que le rapport de la commission d’enquête sur le scandale l’exonère de tout blâme. C’est ruiné financièrement et presqu’aveugle à cause du diabète qu’il meurt à Montréal le 30 octobre 1894. S’il n’est plus chef des libéraux, Félix-Gabriel Marchand l’ayant remplacé, il demeure député de Bonaventure jusqu’à son décès.
Les deux clips qui suivent font partie de la série «Nos élus à Québec», initiative rendue possible grâce au soutien de Chantal Soucy, députée de Saint-Hyacinthe à l’Assemblée nationale.