Articles parus dans Le Courrier de Saint-Hyacinthe les 12 et 19 décembre 2007
Catégorie: Temps des Fêtes
Sous-catégorie: Communautaire
Auteure: Anne-Sophie Robert
Plusieurs traditions du temps des fêtes se perpétuent depuis toujours nous semble-t-il. Nous n’avons qu’à penser au sapin de Noël, à la bûche des fêtes qui ravie les gourmands, à la crèche sous le sapin, à la couronne accrochée à nos portes et aux échanges de cadeaux. Ces traditions reviennent à chaque année, magiques et rassurantes. Cependant, une autre tradition du temps des fêtes nous rappelle que pour certains, cette période est source de soucis et de tristesse : la guignolée. Cette activité consiste à réunir des gens qui vont collecter aux portes des mieux nantis de l’argent, des biens ou de la nourriture pour les pauvres de la communauté. La guignolée a été courue à plusieurs époques à Saint-Hyacinthe et continue toujours de l’être d’ailleurs. Avant de voir qui avait la charge de l’organisation de la guignolée maskoutaine à partir du XXe siècle, jusqu’aux années 1950, il est intéressant de connaître l’origine de cette tradition qui semble remonter à la nuit des temps.
Il existe trois thèses qui expliquent l’origine de cette fête du partage. La première nous vient de Jean-Jacques Ampère, historien et écrivain français du XIXe siècle, qui fait remonter cette coutume à l’époque druidique, c’est-à-dire vers 1000 ans avant Jésus-Christ. Les prêtres celtes de la Gaule antique, les druides, faisaient à chaque Nouvel An la cueillette du gui. Cette récolte annuelle s’accompagnait d’un cri de réjouissance «Au gui, l’an neuf». La deuxième provient, pour sa part, de certains étymologistes qui prétendent que cette coutume provient des anciens Phéniciens de la Gaule qui s’envoyaient de façon mutuelle, une fois par année, des pots de blé vert en signe de consolation et de réjouissance. La formule que s’échangeaient les gens à cette occasion était «E ghin an eit» qui veut dire «Le blé naît, la vie ressuscite». La troisième nous vient, quant à elle, de Théodore Hersart, vicomte de la Villemarqué, linguiste français du XIXe siècle, pour qui la guignolée vient du mot celtique « Eginad » qui signifie prémices de l’année.
Il est à noter que la guignolée se nomme aussi la Ignolée ou la Lignolée et dans certaines régions de la France : gui-l’an-neu, guillannée et gui-l’an-néou. Quoi qu’il en soit il est certain qu’il existe une parenté entre notre guignolée du Québec et la coutume pratiquée dans certaines régions de la France telles qu’en Saintonge où les gens se promenaient dans les rues au Nouvel An avec un aiguillon de bois neuf dans lequel on embrochait des couennes de lard reçues lors de la promenade nommée Ayilonneu ou Guilanné. Sans se tromper, on peut affirmer que cette tradition a été apportée en Nouvelle-France par nos ancêtres.
Pourtant, c’est seulement au XIXe siècle que les premières guignolées sont courues de façon officielle et organisées par des associations qui passent de porte en porte dans les rangs des paroisses et dans les rues des villages au rythme de la musique et de la chanson «La guignolée» :
«Bonjour le maître et la maîtresse/ Et tout le monde de la maison / Pour le dernier jour de l’année / La guignolée vous nous devez / Si vous voulez rien nous donner
Dites-nous lé… / On emmènera seulement / la fille aînée / On lui fera faire / bonne chère / On lui fera chauffer les pieds / On vous demande seulement une / chinée / De vingt à trente pied de long si vous voulez / La guignolée, la / guignoloche / Mettez du lard dedans ma poche…» Il s’agit d’une des trois versions de cette chanson qui ont circulé au Québec.
Le Courrier de Saint-Hyacinthe raconte, dans son édition du 21 décembre 1941, le déroulement de cette veillée importante telle que vécue par nos ancêtres au XIXe siècle: « Les guignoleux, arrivés à une maison, battaient devant la porte, avec de longs bâtons, la mesure en chantant. Jamais, ils ne pénétraient dans le logis avant que le maître et la maîtresse de la maison, ou leurs représentants, ne vinssent, en grande cérémonie leur ouvrir la porte et les inviter à entrer. On « prenait » quelque chose, on recevait les dons dans une poche qu’on allait ensuite vider dans une voiture qui suivait la troupe. Puis, on s’acheminait vers une autre maison, escorté de tous les enfants et chiens du voisinage tant la joie était grande. »
Les premières guignolées sont organisées vers 1861 ou 1862, par la Société Saint-Vincent-de-Paul. Cette organisation, fondée à Paris en 1833 par Frédéric Ozanam, un étudiant de la Sorbonne, avait pour mission de rendre visite aux pauvres pour leur apporter réconfort spirituel et biens matériels. La première conférence canadienne de la Société Saint-Vincent-de-Paul est fondée en 1846 à Québec par le Dr Joseph Painchaud et la deuxième conférence à Montréal en 1848 par Mgr Ignace Bourget.
La quête de la guignolée n’est pas publicisée à Saint-Hyacinthe à partir du milieu du XIXe siècle jusqu’au tournant du siècle. Il est difficile de savoir s’il existait, à cette époque, une quête de maison en maison puisqu’il n’en est pas question dans les journaux maskoutains du temps. Cependant, en 1903, des voyageurs de commerce de Québec s’organisent avec la Société Saint-Vincent-de-Paul pour parcourir les rues. Est-ce cet événement qui donne l’idée aux Maskoutains de faire de même ? Quoi qu’il en soit, dans Le Courrier de Saint-Hyacinthe du 31 décembre 1904, il est annoncé dans les notes locales que « les membres de la Société Philharmonique et quelques citoyens restaureront une vieille coutume canadienne, la Ignolée, le samedi soir suivant pour demander secours au profit des pauvres. Toutes contributions en argent ou en effet seront acceptées ». On apprend dans l’édition du 7 janvier 1905 que $ 500 en espèces sonnantes ont été ramassés durant la guignolée.
À partir de 1904 jusqu’en 1912, la guignolée sera organisée et courue la veille du jour de l’An par les membres de la Société Philharmonique de Saint-Hyacinthe, accompagnés, certaines années, par le club de raquetteurs maskoutain L’Infatigable. Les quartiers de la ville, beaucoup moins nombreux à cette époque qu’aujourd’hui, étaient visités ainsi que le marché. On ramenait le tout aux locaux de la Société Philharmonique où on procédait au partage et à la distribution aux familles pauvres. La tradition semble avoir été mise de côté durant les années 1913, 1914 et 1915, peut-être à cause du début de la Première Guerre mondiale. Cependant, une annonce concernant la guignolée apparaît le 16 décembre 1916. À partir de cette année jusqu’en 1942, la quête est organisée par les conférences Saint-Vincent-de-Paul des paroisses Notre-Dame-du-Rosaire et de la Cathédrale (paroisse Saint-Hyacinthe-le-Confesseur). Certaines années le Cercle Montalambert, L’Infatigable, les zouaves, la garde d’honneur, les petits chanteurs de l’Académie Girouard et les membres du Chœur de chant de la paroisse Notre-Dame-du-Rosaire sont de la partie.
Il n’est pas difficile d’imaginer le joyeux tapage que pouvaient faire les « guignoleux » surtout les raquetteurs du club L’Infatigable qui ne se faisaient pas prier pour prendre un petit coup !
De 1919 à 1922, la quête est suivie, dans la paroisse Notre-Dame-du-Rosaire, d’une grande vente aux enchères de différents objets et de volailles au profit de la conférence Saint-Vincent-de-Paul de la paroisse. La guignolée, à partir de 1922, est courue parfois juste avant Noël, parfois entre Noël et le jour de l’An.
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, la tradition se poursuit même durant la crise économique, alors qu’une grande majorité de la population est appauvrie. On apprend dans Le Courrier qu’en 1929 « Sous la surveillance du président de la Conférence Saint-Vincent-de-Paul [celle de la paroisse de la Cathédrale] plus d’une quarantaine de paniers ont été distribués, contenant vêtements et provisions, aux indigents de la ville. Cette distribution a été faite à l’Ouvroir Sainte-Geneviève par la Conférence.»
En 1942, messieurs R. Comeau et R. Benoît, gérants des théâtres Maska et Corona sont remerciés d’avoir permis la sollicitation de l’aumône dans leur théâtre le soir de la guignolée. À partir de 1942, il n’est plus question de la guignolée sous sa forme traditionnelle. En 1950, la Chambre de commerce des jeunes de Saint-Hyacinthe prend l’initiative de visiter et de solliciter les marchands et les industriels de la ville pour ramasser des objets pouvant être présentés en cadeau aux moins fortunés. Ces objets furent distribués la veille de Noël à la salle de l’Académie Girouard.
Depuis quelques années la tradition se perpétue de plus belle à Saint-Hyacinthe et ailleurs au Québec. Espérons que cette coutume perdurera encore longtemps. Le message publié dans Le Courrier de Saint-Hyacinthe du 21 décembre 1907 est toujours d’actualité : « Nous sommes sûrs que tous les citoyens se montreront généreux comme par le passé en faisant l’aumône dans un temps si opportun » car comme il est dit dans l’édition du Clairon du 10 décembre 1926 : « Nous n’insisterons pas sur l’excellence de cette coutume canadienne. Nous n’avons qu’à la signaler à notre population pour être certain que le plus bienveillant accueil lui sera réservé. »