La Porte des Anciens Maires (2)

Article paru dans Le Courrier de Saint-Hyacinthe le 12 avril 1978

Catégorie: Patrimoine bâti

Sous-catégorie: Porte des Anciens Maires

Auteure: Claire Lachance

Les devis
Voyons maintenant les devis tels que présentés par M. René Richer.

« Les tours sont élevées sur une base en béton armé (1-2-4) ; cette base descendra du niveau du sol, jusqu’à 4-6’ au-dessous. Tous les ouvrages indiqués sur le plan comme étant de pierre, seront en pierre Indiana, Deschambault, ou équivalente, posée au mortier de ciment Portland (1-3). La brique sera de la brique “Citadel” posée sur baguettes à joints creux de ½ x ½. Tous les couvertures seront en cuivre de 16 onces posé sur baguette de 1¼ x 1¼ ».

« La portée centrale, au-dessus du pavage, sera montée en charpente de bois, recouverte de « Bishopric Lath » et ensuite de « magnésite ». Les panneaux montrés au plan seront en planches de chêne de 1’’ d’épaisseur, huilés à l’huile de lin bouillie. Le panneau central pourra servir à l’inscription de quelques notes historiques sur la cité. Il y sera fixé une plaque de bronze dont les dimensions seront déterminées plus tard, sur laquelle des noms seront inscrits. L’intérieur de la tour, de plus grandes dimensions, sera aménagée en vue de servir plus tard de vespasienne. Il y sera installé une horloge, pourvue de deux cadrans, éclairés de l’intérieur et mue par l’électricité. »

Les plans
Le plan préparé par M. Richer et accepté par les membres du Conseil me semble avoir subi une modification assez importante, non pas tellement dans la forme, mais plutôt dans les ajouts et les motifs décoratifs. Sans doute pressé par l’échéance trop brève de six semaines ou peut-être par le montant insuffisant de la souscription prévue pour le coût, l’on dut employer plus de briques que de pierres et sacrifier certaines ornementations. Parmi celles-ci, quatre poivrières, ou guérites à toit conique, qui devaient se trouver aux angles de la tour nord et le pinacle destiné à supporter le mât en couronnant la tour sud, ont été supprimées.

Il en est ainsi pour les vespasiennes qui n’ont jamais existé, l’espace réservé à cet effet étant occupé par les pompes qui activent les jets d’eau. Les fontaines projetées devant la tour ont fait place à trois dauphins, en pierre, qui, tête en bas, déversent l’eau par leur gueule béante dans un bassin au ras du sol. La pierre employée dans la construction est artificielle et, me dit-on, les blocs auraient été moulés dans les ateliers de la Compagnie Arco de Montréal. Je ne tenterai pas de vous faire une description détaillée de toute la porte, telle que nous la voyons aujourd’hui, vous la connaissez mieux que moi ; cependant, je crois qu’il est important de s’arrêter à l’aspect du portail situé sur les deux faces de la base de la tour sud.

Ce portail-aveugle, c’est-à-dire qu’il ne débouche sur rien, se voulait sur le plan initial de l’ordre grec dorique à colonnes dégagées. Il a été réalisé dans le style Renaissance, lequel se caractérise par un retour aux influences de l’Antiquité gréco-romaine dont on a emprunté les motifs. Ses colonnes engagées, prises dans la maçonnerie, comportent tous les éléments architecturaux de ce style que sont : piédestal, socle, base et fût uni que couronne un chapiteau composite. Au-dessus, se trouve l’entablement composé de l’architrave et de la frise, cette dernière terminée à chaque extrémité d’un tailloir où l’on voit une fleur de lys.

Cette frise, identique sur les deux faces de la tour, et dont les éléments sont en relief, comprend une guirlande de feuilles d’acanthe desquelles surgit un cheval marin ailé. L’architecte voulait symboliser le courage dont a fait preuve la population de Saint-Hyacinthe à la suite des trois désastreux incendies de 1854, 1876 et 1903. Un cartouche, en forme d’écusson et placé au centre de la frise, représente nos sources françaises et canadiennes avec le coq gaulois et un groupe de trois feuilles d’érable. De chaque côté du cartouche, la devise : « Oublier ne puis », nous rappelle de rester fidèles à nos origines. Au-dessus, la corniche en saillie surmontée de deux boules de pierre, couronne l’entablement. La travée, placée sous l’architrave, de forme plein cintre, encadre les plaques de cuivre sur lesquelles sont gravés d’un côté : les événements historiques depuis l’arrivée des premiers colons en terre maskoutaine, avec les dates des trois feux, et de l’autre côté, sont inscrits les noms des anciens maires et les dates de leur mandat de 1858 à 1917.

René Richer
René Richer. Centre d’histoire de Saint-Hyacinthe, Fonds CH085 Studio B.J. Hébert, photographe.

L’architecte
M. Richer est né à St-Hyacinthe le 14 septembre 1887, du mariage de M. Euclide Richer, chevalier de Pie IX, fondateur de la Librairie Richer en 1872 et ancien maire de la ville de 1898 à 1901, et de Stéphanie Dubord. Il avait trois frères : Jules, Paul et Adrien, tous trois libraires et une sœur, Juliette, mariée à M. V. Ernest Fontaine, avocat. Élève du Séminaire dès 1897, il y fait ses études classiques et passe ensuite deux ans à l’école Polytechnique de Montréal. En 1909, se sentant particulièrement attiré vers l’architecture, il acquiert de l’expérience en travaillant dans divers bureaux d’architectes puis il part pour Paris où il étudie pendant un an, à l’atelier de MM. Duquesne-Recours, atelier attaché à l’École Nationale des Beaux-Arts.

De retour au pays en 1912, M. Richer fut admis à la pratique de l’architecture en 1914 et ouvrit alors un bureau à Montréal qu’il conserva jusqu’en 1918. Le 28 septembre 1915, il avait épousé Mlle Fernande Lamalice de Montréal dont il eût deux filles ; l’une étant morte en bas âge, seule, lui survit le Dr Claude Lise Richer qui s’occupe actuellement (en 1978) de recherches médicales à l’Université de Montréal où elle a collaboré aux travaux du Dr Hans Selye.

De nature plutôt réservée, gros travailleur, M. Richer sortait peu en dehors de ses activités professionnelles et n’appartenait à aucune association mondaine. Intellectuel, il aimait la lecture et les voyages, aussi, il retourna, avec son épouse, en Europe à plusieurs reprises.  Échevin, puis greffier de la ville de 1924 à 1931, il devint directeur des services municipaux pendant quelques années. M. Richer a laissé une œuvre considérable ayant fait les devis de presque toutes les églises du diocèse de Saint-Hyacinthe, bâties depuis l’année 1930 et d’une multitude d’institutions religieuses et scolaires. Mentionnons entre autres, l’église du Sacré-Coeur de Saint-Hyacinthe, celles de Rougemont et de Saint-Simon, la rénovation intérieure de l’Église de Notre-Dame de Granby et celle de Notre-Dame de Saint-Hyacinthe, la restauration du Grand-Hôtel, l’annexe de l’Hôtel de Ville, le couvent des sœurs de Saint-Joseph, l’Hôpital St-Charles et plusieurs maisons. Toutefois, son œuvre maîtresse demeure la chapelle du Séminaire, érigée en 1927, et où sa formation classique de l’architecture pût trouver toute son expression dans l’art ogival.

Architecte de talent, M. Richer fut reçu membre de l’Institut Royal d’Architecture du Canada en 1941, et sa renommée dépassa les limites de sa ville. Vers l’année 1935, il s’associa avec l’architecte Lucien Sarra-Bournet et il décéda à St-Hyacinthe, le 8 juin 1963, à l’âge de 76 ans.

Photo de couverture: Porte des Anciens Maires vers 1960. Centre d’histoire de Saint-Hyacinthe, Fonds CH0548 Raymond Bélanger, photographe.

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