La Porte des Anciens Maires (4)

Article paru dans Le Courrier de Saint-Hyacinthe le 10 mai 1978

Catégorie: Patrimoine bâti

Sous-catégorie: Porte des Anciens Maires

Auteure: Claire Lachance

La célébration du Centenaire
Le dimanche précédant la fête, Georges-Casimir Dessaulles avait reçu chez lui à la résidence qu’il habitait rue de l’Hôtel-Dieu, depuis 1857, et qu’il avait achetée de son oncle Augustin Papineau, notaire, marchand, patriote et frère de Louis-Joseph. Les enfants, petits-enfants et arrière-petits-enfants de M. Dessaulles, au nombre de 53, se pressèrent autour de lui et pour l’occasion les sœurs de l’Hôtel-Dieu avaient fait parvenir deux gros gâteaux « ouvragés ». Les sœurs de la Présentation avaient confectionné un gâteau à quatre étages, reproduction de la Porte des Maires.

L’après-midi du jeudi avait été proclamé demi-journée de fête civique, afin que la population entière puisse s’unir pour célébrer dignement le centenaire de ce grand citoyen dont la fructueuse carrière s’est poursuivie au bénéfice des gens de Saint-Hyacinthe. Les écoles sont fermées, toute la ville est pavoisée, les édifices publics et les maisons arborent drapeaux, banderoles et écussons de toutes couleurs.

Un salut solennel fut célébré à la chapelle de l’Hôtel-Dieu par Mgr Decelles qui fit une brève allocution et lut un câblogramme du Pape Pie XI. Puis, ce fut la rencontre des invités à l’Hôtel de Ville pour le départ de la parade vers 2 heures et quinze. Devant une foule immense, réunie en face du Grand Hôtel, le cortège se mit en branle par les rues suivantes : Mondor, William (Calixa-Lavallée), Saint-Casimir (Duclos), Cascades, Saint-Simon, Saint-Antoine, Saint-François, Cascades, Bourdages, Claude, Dessaulles, Rosalie, Richer, Laframboise, Dessaulles, Sainte-Marie, Girouard, le parterre du Séminaire et Girouard jusqu’au Parc Côté. Tout le long du cortège, la population ovationne le Jubilaire qui salue allègrement en soulevant son haut de forme.

Au Parc Côté, une estrade avait été dressée devant la Porte-Monument pour y recevoir les représentants du gouvernement fédéral et de la législature provinciale, les membres du clergé, les citoyens de marque et les membres de la famille. Autour, le tout Saint-Hyacinthe assistait à cette fête grandiose, par une radieuse journée d’automne. Des cadets des Compagnies de Zouaves, la Philarmonique de Saint-Hyacinthe, la fanfare de Saint-Vincent-de-Paul, drapeaux en tête présentèrent les armes et sonnèrent au champ lorsque l’Hon. Dessaulles apparut sur l’estrade.

Le maire Bouchard fut le premier à prendre la parole. Il fit remarquer à l’assistance que les grands arbres centenaires du Parc Côté avaient été plantés par le père du Sénateur un siècle plus tôt et qu’on se devait de perpétuer la tradition. Et c’est d’un geste alerte, ne semblant ressentir aucune fatigue, que M. Dessaulles lança la première pelletée de terre sur les racines d’un jeune orme-souvenir et sur les plans de pivoines que le prince de Galles, le futur Édouard VIII, avait fait parvenir.

M. Bouchard énuméra alors les étapes de la carrière fructueuse du centenaire au service de la ville et à laquelle il voulait lui associer dans cet honneur, les dix premiers maires de la ville qui furent ses collaborateurs dans l’œuvre du développement de Saint-Hyacinthe, de 1857 à 1917.

Le représentant du gouvernement fédéral, l’Hon. Fernand Rinfret, secrétaire d’État, est invité ensuite à dévoiler les plaques-souvenirs. Il offre ses félicitations et rappelle que ce moment restera l’éclatant témoignage que l’œuvre des maires a été comprise par leurs compatriotes. « Et, dit-il, il convient d’être discret quand on fait des souhaits au Sénateur Dessaulles car lui demeure toujours et ce sont ceux qui souhaitent qui disparaissent. Il a été de plusieurs générations, et nous qui avons peine à être de la nôtre nous admirons qu’il ait pu si bien être à sa place dans chacune d’elles ». Le Sénateur d’État se fit ensuite le porteur d’un message du Premier Ministre du Canada, l’Hon. Mackenzie King. Mgr Desranleau, vicaire général du diocèse, souligne que « cette Porte qui tient à la fois de l’Arc de Triomphe et de la porte des anciennes fortifications, rappelle le caractère français de Saint-Hyacinthe, résume notre passé. Réalisée dans le style d’une Renaissance primitive, elle évoque le Moyen-Âge, redisant que c’est aux 16e et 17e siècles que les Canadiens français s’établirent au pays. »

Inauguration de la Porte des Maires.
Inauguration de la Porte des Anciens Maires. Centre d’histoire de Saint-Hyacinthe, Fonds CH478 Collection de la Société d’histoire régionale de Saint-Hyacinthe.

Le Rév. J.E. Boucher, pasteur de l’Église presbytérienne, rappelle ensuite que M. Dessaulles est un « homme juste, tolérant et charitable », puis Mgr Choquette en apportant les vœux du Séminaire ajoute que « cette porte-monument sera dans l’histoire un des plus beaux symboles de la reconnaissance humaine ».

À huit heures, les invités sont de nouveau réunis au Grand Hôtel où un diner de choix est servi par la maison Kerhulu. Une seule santé fut offerte, celle du Roi et on y fit la lecture d’un message de félicitations de l’Hon. Alexandre Taschereau, premier Ministre du Québec, lequel se terminait par ces mots : « Vous méritez pleinement l’hommage public dont vous êtes aujourd’hui l’objet et le gouvernement de notre province est heureux de s’unir à votre population dans le tribut qui vous est rendu ».

L’orchestre philharmonique sous la direction de M. J.E. Chassé offrit un programme de bon goût et à neuf heures le maire T.D. Bouchard reçut les invités à l’Hôtel de Ville, pour une grande réception. L’événement eut son écho dans tous les journaux de l’époque qui le relatèrent largement ; « fête qui a beaucoup d’éclat », écrit l’un. « La population a vécu un siècle de son histoire religieuse, civique, commerciale et industrielle », dit un autre.

Rappelons que M. Dessaulles fut échevin pendant 10 ans et maire de la ville pendant près de 25 ans sous deux termes. Il démissionna en 1897, à l’âge de 70 ans, pour devenir député de Saint-Hyacinthe à la législature provinciale lorsque son gendre, M. Maurice St-Jacques, qui devait se présenter, meurt à la suite d’un refroidissement pris durant la campagne électorale. À l’âge de 80 ans, sur l’invitation de Sir Wilfrid Laurier, il accepta, en 1907, un siège au Sénat pour représenter la circonscription de Rouville-Saint-Hyacinthe et succéder à William Hingston ; il y restera pendant 23 ans jusqu’à sa mort survenue en 1929. Devenu doyen, et l’un des plus vieux législateurs du monde entier, il fut considéré comme un homme rempli de sagesse et d’expérience et comme le Sénateur le plus ponctuel et le plus vigilant de son époque, n’admettant pas que l’âge affaiblisse.

Rappelons que le vénérable vieillard avait fait ses études au Séminaire de Saint-Hyacinthe, en même temps que les deux fils de Papineau, ses cousins, et de ceux de Wolfred Nelson. Il est né le 29 septembre 1827, dans le manoir seigneurial. Construite en 1796, cette résidence devait être démolie en 1876 pour faire place au Parc Dessaulles que nous connaissons aujourd’hui. Héritier d’une partie de la Seigneurie en 1852, il fut un temps le plus grand propriétaire terrien de notre ville et par son grand esprit de charité et d’honnêteté il fut considéré comme un ami par tous ceux qui l’ont connu.

 

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