En 1888, les promoteurs de la Compagnie du chemin de fer des Comtés-Unis fondaient de grands espoirs sur leur entreprise, qui devait, selon eux, offrir des avantages certains aux commerces et être une source de prospérité pour les comtés qu’elle desservirait. Parmi eux, Me Michel-Esdras Bernier, notaire et député fédéral entre 1892 et 1904, et Lewis-Francis Morison, qui fut maire de Saint-Hyacinthe.
La voie ferrée reliait les paroisses d’Iberville, Saint-Grégoire, Sainte-Angèle, Saint-Césaire, Rougemont, Saint-Damase, Argenteuil, Sainte-Madeleine, Saint-Hyacinthe, Saint-Barnabé, Saint-Jude, Saint-Louis, Saint-Aimé, Saint-Robert et Sorel. Le parcours total était d’environ soixante milles.
Inauguration
En 1893, on inaugure le tronçon qui part de Saint-Hyacinthe pour aller vers Saint-Damase, Rougemont, Sainte-Angèle-de-Monnoir jusqu’à Iberville et le 16 février 1895, c’est le moment d’inaugurer le tronçon vers Sorel. Ce voyage inaugural partit de Saint-Hyacinthe à midi en direction de Sorel. Malheureusement, le convoi, six milles avant d’arriver à Sorel, se trouva pris dans un banc de neige et ne put être dégagé de son impasse qu’avec l’aide d’une autre locomotive, le lendemain matin. Les invités et les membres de la Philharmonique qui avaient pris place à bord furent tout heureux de revoir la gare d’où ils étaient partis la veille.

En 1900, la Compagnie du chemin de fer des Comtés-Unis est vendue aux enchères à la Southern Railway. En 1905, la compagnie américaine Delaware and Hudson Railway s’en porta acquéreur et la transféra immédiatement à sa filiale canadienne, la Quebec Montreal and Southern Railway Co.
Encore des problèmes
En mars 1920, un important glissement de terrain se produisit à Saint-Jude, emportant une partie de la voie. Des photos de l’époque montrent un « pont des chars » abîmé dans un profond ravin et les rails de la voie tout tordus. Le service dut être discontinué durant près de six mois.
Un nouveau propriétaire
Le 15 juillet 1929, les Chemins de Fer Nationaux du Canada achètent la ligne. Rapidement, le C.N.R obtint le transfert de son service de trains de voyageurs, de la gare de la rue Desaulniers à celle sise au coin des rues Laframboise et Richer (devenue Sicotte). Ce transfert fut accordé à la condition que les activités de chargement et de déchargement des trains de marchandises continuent à se faire à l’ancienne gare située au coin Desaulniers et Héloïse (Dessaulles).
C’est ainsi que les fameux cirques de renommée internationale Barnum and Bailey et Al G. Barnes, qui venaient régulièrement à Saint-Hyacinthe, arrivaient et descendaient aux hangars de la gare du quartier numéro cinq pour ensuite se rendre en parade au terrain du Mille (Parc Laframboise). C’était une impressionnante procession de chariots de toutes sortes tirés habituellement par des éléphants. Suivaient girafes, chameaux, fauves plus terrifiants les uns que les autres, dompteurs, bouffons, saltimbanques, etc.
La non-rentabilité de la ligne Saint-Hyacinthe-Sorel
En 1935, le C.N.R. demande à la Commission des chemins de fer du Canada l’abandon des opérations de cette ligne. La piètre qualité du service était telle que les plaisanteries les plus sarcastiques avaient cours, comme « chemins de fer des Comtés-Ruinés » au lieu des Comtés-Unis. Les horaires des trains étaient si peu fiables que l’on disait que le train d’hier passait aujourd’hui ou encore, que celui de demain passerait sans doute après-demain, etc.
Le Conseil municipal de Saint-Hyacinthe s’objecta vigoureusement à la fermeture de la ligne. En novembre 1935, la Commission des Chemins de fer enjoignit le C.N.R. de continuer son service, arguant que les populations en cause n’avaient aucun moyen de transport convenable et vraiment efficace. C’est ainsi qu’on peut lire dans le Courrier de Saint-Hyacinthe : « À partir du samedi 5 décembre 1935 et durant la période des mauvaises routes, les trains du samedi circuleront comme suit : Train No. 160 – Samedi, 6:00 P.M. départ de Sorel, arrivée à Saint-Hyacinthe 7:35 P.M.; et arrivée à Montréal à 10:45 P.M. — Canadian National. »

À l’automne 1943, le service de trains de voyageurs entre Saint-Hyacinthe et Sorel fut suspendu. La Chambre de Commerce des Jeunes de Saint-Hyacinthe protesta dans une résolution acheminée à la Commission des chemins de fer. On y faisait valoir qu’un grand nombre de personnes de Saint-Hyacinthe et des environs travaillaient dans les usines de guerre à Sorel et que la cessation du service leur causait des ennuis très sérieux. De plus, il n’y avait aucun autre moyen de transport convenable pour les paroisses de Saint-Barnabé-Sud, Saint-Louis, Massueville et Saint-Robert, ce qui causait un préjudice grave pour les commerçants de ces villages.
Le C.N.R continua en fin de compte à opérer son tronçon durant les années de guerre par un service mixte (voyageurs et trains de marchandises à la fois) jusqu’en 1950. Quant au tronçon vers Iberville, le service avait pris en 1931
Délabrement des propriétés
Lors de la séance du Conseil municipal du 2 décembre 1931, l’échevin Armand Mongeau pria les autorités des chemins de fer nationaux soit de démolir, soit d’effectuer les réparations qui s’imposaient à l’ancienne gare de la rue Desaulniers, désaffectée depuis octobre 1929. Le surintendant, monsieur McNaughton, responsable des bâtisses du C.N.R., répondit dans une lettre du 5 janvier 1932 : « J’ai fait, hier, une inspection de la propriété en question et je trouve que la bâtisse est encore en assez bon état et avec une petite retouche ici et là, pourrait être comparée avec avantage aux habitations que les citoyens possèdent aux alentours. »
Le 21 mars 1938, la Ville revint à la charge pour que soit démolie ou réparée l’ancienne gare du Quebec Montreal and Southern Railway. Le C.N.R se contenta d’accuser réception de cette demande, sans plus, et la vieille gare continua de rester dans le paysage encore une bonne dizaine d’années. Selon de vieux citoyens du quartier, elle fut déplacée sur le terrain du C.N.R au coin Desaulniers et Dessaulles vers la fin des années quarante pour être par la suite démolie.
En 1970, la Ville de Saint-Hyacinthe et le C.N.R. conclurent une entente afin de détourner l’ancienne voie traversant la rue Sicotte, entre les rues Sainte-Catherine et Desaulniers, pour l’orienter vers le parc industriel et desservir ainsi les industries déjà en place. Selon l’entente, les assises de la voie ferrée devaient être aux frais de la municipalité. Le gravier employé ne répondant pas aux normes du C.N., on a dû procéder avec de la pierre concassée provenant des Carrières de Saint-Dominique. Il en a fallu plus de 40 000 tonnes, ce qui occasionna un coût considérable.
D’après les articles de Raoul Bergeron paru dans le Courrier de Saint-Hyacinthe les 5, 19 et 26 février 1992.