Le journal La Tribune (1888-1922)

Article paru dans Le Courrier de Saint-Hyacinthe le 6 décembre 2006

Catégorie: Littérature

Sous-catégorie: Journaux

Auteur: Luc Cordeau

Le journal Le Courrier de Saint-Hyacinthe qui existe depuis 1853, n’a pas toujours été seul en ville. En effet, au XIXe siècle ainsi qu’au début du XXe, plusieurs journaux ont vu le jour à Saint-Hyacinthe, certains pendant quelques temps notamment : Le Journal de Saint-Hyacinthe (1861-1868), La Gazette de Saint-Hyacinthe (1868-1871), La Nation (1871-1873) ; d’autres pendant plusieurs années : L’Union (1873-1911), Le Clairon (1912-1954, de nos jours Le Clairon régional maskoutain), La Tribune de Saint-Hyacinthe (1888-1922).

« La Tribune journal hebdomadaire publié à St-Hyacinthe, Qué. paraît le vendredi – abonnement payable d’avance – un an $1.00, 6 mois, 50 cents – Annonce, 10 cents la ligne. […] Avis à noter. – Le premier numéro de La Tribune a été tiré à dix mille exemplaires ; nous savions parfaitement que d’un premier bond, notre circulation n’atteindrait pas ce chiffre phénoménal, mais nous voulions parer à ce reproche banal : Ah ! si je l’avais su, si vous me l’aviez envoyé ! Nous avons donc adressé La Tribune, dans le district, à tous ceux dont nous avons pu nous procurer les noms sans distinction de parti. Sur 10,000 numéros expédiés, si un grand nombre nous sont revenus, nous sommes fier de constater aussi que plusieurs milliers ont été gardés et payés » (La Tribune, 27 avril 1888).

Eugène Chartier
Eugène Chartier en 1917. Centre d’histoire de Saint-Hyacinthe, Fonds CH085 Studio B.J. Hébert, photographe.

Monsieur Eugène Chartier, rédacteur du journal La Tribune de Saint-Hyacinthe, de 1917 à 1922, dans le numéro du 11 mai 1917, publie un historique du journal dans le cadre du vingt-neuvième anniversaire de l’imprimé. « Son histoire est celle d’a peu près toutes les feuilles rurales, elle a lutté pour vivre et elle a vécu pour lutter. Le 16 mars 1888, feu M. Alphonse Denis, fondateur, présentait le journal en ces termes : « Encore un nouveau journal, direz-vous ! Dites plutôt encore un ami de plus dans le district de Saint-Hyacinthe, qui vient, dans l’humble mesure de ses forces, aider au progrès de cette ville et de ce district. La religion, la science, le patriotisme et l’industrie ne se sont-ils pas en effet donné rendez-vous commun ici. Voyez nos maisons d’éducation, nos collèges, nos hôpitaux, nos hommes instruits, énumérez nos industries, [etc.]. Nous avons pensé qu’une voix amie de plus, si petite, si faible qu’elle soit, ne serait de trop, mais au contraire aiderait à promouvoir les intérêts de tous genres de cette ville et de ce district, et dans ce but nous avons fondé La Tribune. En religion, La Tribune adhère sincèrement aux dogmes catholiques, de bonne foi, sans réticence aucune. En politique, La Tribune donne au Gouvernement national de Québec [d’Honoré Mercier] tout son appui, mais se réserve liberté de penser et de dire quant à ses agissements. À Ottawa, l’honorable Wilfrid Laurier représente vis-à-vis d’elle sa foi politique et nationale. Ce que La Tribune veut, ce pourquoi elle existe, elle travaille et travaillera, le voici : 1- Progrès et agrandissement de la ville et du district de St-Hyacinthe, 2- Succès du gouvernement national à Québec, 3- Discussions des principes, 4- Guerre au monopole et au favoritisme, 5- Respect à tous ».

 

Pour Chartier, le programme du journal ne change point en cette année 1917, d’avec les buts énoncés par Denis lors de la fondation, malgré l’achat du journal en 1916 par un syndicat de citoyens patriotes et catholiques. La Tribune qui se dit  être un journal politiquement indépendant, se donne le devoir de surveiller «afin de les redresser si possible » les actes des deux autres journaux de Saint-Hyacinthe « excellents parfois mais combien gênés par l’influence politique, qu’elle soit bleue [Le Courrier], qu’elle soit rouge [Le Clairon] ». Au point de vue religieux, l’engagement du journal demeure : « Nous ne cesserons d’être intransigeants envers ceux des nôtres qui oublient que le titre de catholique a ses obligations. Soumis à l’autorité ecclésiastique, nous préférons toujours suivre les dictées de la chaire. Les protestants étant chez nous l’infime minorité méritent le respect dû aux faibles. Nous les respectons comme tels mais jamais nous ne permettrons qu’ils s’immiscent dans notre vie religieuse et nationale ».

Comme plusieurs autres journaux régionaux de l’époque, La Tribune est un journal qui cherche à défendre les intérêts d’une ville et d’une région, en plus de participer aux grands débats nationaux, tout en associant constamment, religion et patriotisme. « Puisse notre travail enfin être utile à Dieu et à la Patrie et nous serons récompensés de l’humble effort que nous avons apporté pour leur gloire », écrivait-il à la fin de son texte du 11 mai 1917.

Catholique en religion, et libérale en politique, La Tribune prend sa place dans le milieu en cherchant à faire l’équilibre entre Le Courrier, d’allégeance conservatrice, porte-parole ultramontain du clergé de cette ville épiscopale, et de l’autre côté, La GazetteL’Union et Le Clairon, journaux libéraux radicaux.

La fin de l’année 1909, a été éprouvante pour l’équipe du journal La Tribune. En effet, monsieur Alphonse Denis, fondateur du journal et copropriétaire, décède le dimanche 7 novembre, âgé de 63 ans. « Résidant de Saint-Hyacinthe depuis 1871, il est gérant du journal L’Union pendant plusieurs années. De 1887 à 1903, il est le Lieutenant-colonel du 84e régiment, de Saint-Hyacinthe » (Journal L’Union, 9 novembre 1909).

Journal La Tribune
L’imprimerie La Tribune sur la rue Saint-Antoine. Centre d’histoire de Saint-Hyacinthe, Fonds CH085 Studio B.J. Hébert, photographe.

Quelques semaines plus tard, soit au cours de la nuit du 25 décembre, un incendie éclate au centre-ville de Saint-Hyacinthe, détruisant notamment les locaux de La Tribune. Journal La Tribune, 31 décembre 1909 : « D’ici à une couple de semaine, La Tribune sera imprimée dans les ateliers de notre confrère Le Courrier de Saint-Hyacinthe qui nous a très gracieusement ouvert ses portes. Nos annonceurs ne nous en voudront pas trop, si nous ne faisons pas les changements ordinaires dans nos annonces. Le feu de la semaine dernière a mis un tel désarroi dans notre matériel, que nous ne pouvons plus nous comprendre. Dans une quinzaine de jours, nous prendrons possession de l’ancien magasin de M. Alfred Lapalme, sur la rue Saint-Antoine, et nous y resterons jusqu’au printemps au moins ».

Le 29 décembre 1922, Eugène Chartier met la clé dans la porte de La Tribune, mettant ainsi fin à une aventure de trente-quatre années. « La Tribune disparaît malgré notre désir sincère de lui continuer la vie. Ses directeurs financiers et ses bailleurs de fonds ont cru devoir refuser notre offre pour résumer leurs aspirations dans une autre organisation dont ils se sont assurés le contrôle […]. Tous nos lecteurs nous feront crédit de notre parfaite indépendance depuis que nous dirigeons La Tribune. Nous avons lutté avec conscience et sans autre ambition que de faire triompher la justice contre l’injustice […]. Rentré pauvre à La Tribune, nous en sortons de même. Outre le maigre salaire que nous y avons gagné péniblement, nous n’avons jamais reçu la moindre récompense pécuniaire ou autre, pour tous les services  rendus […] ».

Pour Chartier, l’arrêt de la publication du journal ne semblait pas permanente : « Avec le 31 décembre prochain, La Tribune suspend sa publication. Notre atelier arrête également ses travaux. Aussi longtemps que cet état de chose durera, nos abonnés recevront Le Courrier de Saint-Hyacinthe. Cet arrangement, intervenu avec l’administration de ce journal, nous permet de continuer notre service à tous ceux qui ont payé leur abonnement d’avance. Jusqu’à ce que nous ayons définitivement fait les transformations nécessaires, nous prions nos correspondants, nos collaborateurs, nos annonceurs, les clients de nos ateliers de s’adresser pour tout au Courrier, sur la rue Saint-Anne » (La Tribune, 29 décembre 1922). Le tirage du journal sera de 2500 exemplaires en 1899, de 2000 en 1913, et de 1000 en 1921. La Tribune ne reprendra jamais ses activités. Quelques semaines plus tard, Chartier tente de se faire élire comme débuté lors des élections provinciales du 5 février 1923. Il sera défait.

Plusieurs rédacteurs directeurs ont œuvrés à La Tribune de Saint-Hyacinthe au cours des ans : J.-A Chagnon, 1888 ; P.-V. Vaillant, 1889-1890 ; A.-J. Dorion, 1890-1892 ; Alphonse Denis, 1892-1899, 1900-1905, 1907 ; Eugène Lamarche, 1905-1907 ; divers collaborateurs, 1907-1909 ; S.-J. Fréchette, 1909-1916 ; J.-P.-I. Gagnon, 1916 ; Eugène Chartier, 1917-1922.

Au cours de son existence, La Tribune a connu plusieurs déménagements. Selon les informations disponibles, le journal était situé : 1) au 114, rue Des Cascades [de nos jours, le 1325], entre les rues Mondor et Duclos, à ses débuts en 1888 ; 2) au 153, Des Cascades [le 1520], face à la rue Saint-Simon, en 1894 ; 3) au 120, rue Saint-Antoine [le 1595], à l’arrière du Marché, en 1898 ; 4) au 108, rue Mondor [le 600], au Grand-hôtel, en 1900 ; 5) au 128, Des Cascades [le 1405], en 1904, mais à cet endroit, les locaux du journal sont détruits lors de l’incendie de la nuit de Noël 1909 ; 6) au 114, rue Saint-Antoine [le 1555], à l’arrière du Marché, en 1915 [peut-être dès 1909-1910] ; 7) au 88, rue Sainte-Anne [le 965], à l’angle de la rue Dessaulles, en 1920, et lors de sa fermeture en 1922.

Partagez cette histoire