Le projet Christ-Roi

Articles parus dans Le Courrier de Saint-Hyacinthe les 22 et 29 mars 2006

Catégorie: Quartiers

Sous-catégorie: Christ-Roi

Auteure: Anne-Sophie Robert

À partir des années cinquante, plusieurs administrations municipales du Québec prennent la décision de raser les taudis des quartiers défavorisés et de construire à la place des logements à prix modique. Saint-Hyacinthe entreprend la rénovation du quartier Christ-Roi à partir de 1967 en mettant sur pied le Projet Christ-Roi. En plus des écrits produits à ce sujet, différents articles parus dans le Courrier de Saint-Hyacinthe au cours des années soixante et soixante-dix ont été utilisés pour raconter cette histoire de rénovation urbaine.

Ce quartier longeant la rivière Yamaska, connu des Maskoutains comme le « bas d’la ville », est l’un des plus anciens de Saint-Hyacinthe. Il est rattaché à la paroisse Cathédrale jusqu’en 1927, année de l’érection de la paroisse Christ-Roi qui est limitée au nord par le sud de la rue Calixa-Lavallée, à l’est et au sud par la rivière Yamaska et à l’ouest par les rues Mondor jusqu’à Saint-Paul (aujourd’hui Saint-Amand), Duclos jusqu’à Marguerite-Bourgeoys et Sainte-Marie jusqu’à Calixa-Lavallée. Des ouvriers et des journaliers y habitent.

Lorsque le Projet Christ-Roi est mis sur pied en 1967, le quartier possède déjà une longue histoire qui s’articule pendant un temps, soit de 1852 à 1910, autour du marché à foin. En 1868, on y construit la fameuse balance publique qui disparaîtra en 1969 lors du réaménagement du quartier. Après la fermeture du marché à foin, l’espace devient le parc Bouchard. Le quartier est inondé par la Yamaska à de nombreuses reprises puisqu’une partie du quartier est située à un endroit où le niveau des berges de la rivière est bas. La construction du mur de soutènement sera d’ailleurs une condition à la construction de nouveaux logements.

Christ-Roi
Quartier Christ-Roi en 1947. Centre d’histoire de Saint-Hyacinthe, Fonds CH548 Raymond Bélanger, photographe.

Grâce à un clergé et des paroissiens dynamiques, le quartier est animé par toutes sortes d’activités. En 1947, l’Oeuvre des Terrains de Jeux de la paroisse Christ-Roi est créé et sont aménagés près de la rivière des installations de loisirs fréquentés également par les Maskoutains des autres quartiers favorisant au cours des années les contacts, malgré les préjugés tenaces alimentés par la population extérieure au quartier qui associe à tort l’aspect délabré des habitations avec le caractère des gens du Christ-Roi.

En 1966, l’Union Régionale de Saint-Hyacinthe des Caisses populaires Desjardins prend l’initiative d’entreprendre des démarches dans le but de sensibiliser les autorités municipales et provinciales aux conditions de vie misérables des habitants du quartier Christ-Roi. Pour une présentation exhaustive des conditions sociales et économiques du quartier, la réalisation d’un rapport s’impose. Il est confié à l’Action Sociale Étudiante pendant l’été 1967 où cinq étudiants rencontrent des familles du Christ-Roi qui profitent de cette opportunité pour s’exprimer sur les besoins réels du quartier. Ce rapport, signé par Lorraine Caron, Louise Dupont, Hercule Gaboury, Jean Dorval et Conrad Bureau fait état que, encore en 1967, de nombreux logements sont privés de nécessités. Par exemple, 44 % des logements n’ont ni bain, ni douche et seulement 52 % des logements possèdent un réservoir à eau chaude. Cette situation s’explique par le fait que les propriétaires des habitations, ne résidant pas dans le quartier pour la plupart, rechignent à réparer ou rénover ces vieilles maisons. On apprend également dans le rapport que la zone où l’on retrouve le plus grand nombre de taudis se trouve dans le quadrilatère formé par les rues Vaudreuil, Saint-Antoine, Brodeur et Saint-Paul. Avec toutes les inondations qu’a subies cette partie du quartier, on peut facilement imaginer l’état des constructions en 1967. Un comité conjoint composé de trois membres du conseil d’administration de l’Union Régionale de Saint-Hyacinthe et de trois échevins de la ville de Saint-Hyacinthe est créé.

Soirée d'information
Soirée d’information à propos du projet Christ-Roi. Centre d’histoire de Saint-Hyacinthe, Fonds CH380 Le Courrier de Saint-Hyacinthe.

Le 29 mars 1968 a lieu la première réunion du comité conjoint en compagnie du maire Jacques Lafontaine, pour lui exposer un résumé du bill 63 qui a pour but de fournir une aide financière gouvernementale aux municipalités désirant s’attaquer au problème du logement. La réunion se solde par le refus du maire Lafontaine d’engager la ville dans un projet de rénovation d’une telle envergure. Une autre réunion est donc organisée le 29 mai 1968, cette fois en compagnie d’un représentant de la Société d’Habitation du Québec. Tous les échevins, les trois représentants de l’Union Régionale de Saint-Hyacinthe, quelques membres du comité conjoint ainsi que les représentants du quartier, dont monsieur l’abbé André Leclerc, vicaire à la paroisse Christ-Roi et monsieur Léo Bibeau, sont présents à cette réunion. Cette fois-ci, malgré quelques réticences, le projet de rénovation est finalement accepté et est pris en charge par le conseil municipal.

C’est sous l’administration du maire Léon Nichols que l’Office Municipal d’Habitation de Saint-Hyacinthe est créé. À la même époque, un autre projet de loyers à prix modiques est lancé parallèlement à celui du Projet Christ-Roi. Ce projet connu aujourd’hui sous le nom de Terrasses du Patro est construit sur les terrains qu’occupaient les frères Saint-Vincent-de-Paul. D’ailleurs, des familles du Christ-Roi y seront logées en attendant la construction de HLM dans leur quartier. En janvier 1970, une réunion générale est organisée à l’École Lafontaine en présence de deux ingénieurs de la compagnie Urbatique inc. de Montréal engagée pour faire les expertises nécessaires dans le but de désigner les maisons devant être démolies et celles devant être restaurées. Ceux-ci donnent des informations sur le projet d’habitation à prix modiques aux citoyens du quartier.

L’année 1970 ne sera pas profitable pour le projet. À l’automne, le maire Léon Nichols démissionne et le Projet Christ-Roi est abandonné lorsque le gouvernement fédéral se retire du programme à frais partagés. Léo Bibeau, citoyen du quartier Christ-Roi, impliqué dans le projet de rénovation depuis le début, conseiller municipal et président de l’Office Municipal d’Habitation ne baisse pas les bras et fait tout en son pouvoir pour que le projet ne soit pas oublié. Ce n’est qu’en 1974 que le projet sort des boules à mites lorsque le conseil municipal prend la résolution de construire 44 unités de logement à prix modique dans les trois prochaines années. Promesse qui ne sera pas tenue.

Un comité de citoyens est mis sur pied pour assurer que les citoyens du quartier soient respectés dans leurs droits et pour veiller à la bonne marche des démolitions et des rénovations. D’ailleurs, il semble y avoir un certain manque de communication entre les propriétaires et les responsables du projet. Par exemple, le Courrier de Saint-Hyacinthe du 23 mars 1977 rapporte que sur la rue Brodeur une maison est menacée de démolition alors que de simples rénovations sont nécessaires et d’ailleurs déjà réalisées par le propriétaire qui reçoit tout de même un avis d’expropriation.

Plusieurs histoires de la sorte se produisent. D’autres propriétaires reçoivent un avis de quitter les lieux alors qu’aucun inspecteur ou fonctionnaire n’est venu visiter les maisons pour constater leur état. Les citoyens ne se sentent pas impliqués dans le déroulement du projet et sont inquiets des échéances prévues pour les travaux de démolition et des possibilités de relogement. Il ne faut pas oublier que certaines personnes vivent dans ce quartier depuis parfois plus de quarante ans et y sont attachées. La ville rassure les citoyens en les informant qu’elle dispose d’une banque de logements à prix abordable. Cependant, elle ne peut avancer une date précise quant au début des travaux de construction des nouvelles unités de logement.

Démolition Christ-Roi
Démolition d’une maison insalubre dans le quartier Christ-Roi, 1977. Centre d’histoire de Saint-Hyacinthe, Fonds CH380 Le Courrier de Saint-Hyacinthe.

À l’automne 1977, les démolisseurs sont enfin à l’œuvre dans le quartier Christ-Roi où une quarantaine de maisons insalubres disparaissent du paysage. Cependant, les familles relogées dans d’autres quartiers de la ville et désirant revenir habiter dans le quartier Christ-Roi ne sont pas près de retrouver leur milieu. Il faudra encore attendre deux ans avant que la construction des HLM débute. Le commencement des travaux est sans cesse repoussé par les procédures administratives de la Société d’Habitation du Québec.

Ce n’est qu’en mai 1979 que la SHQ autorise enfin la construction des 44 unités de logement à prix modiques sur les rues Vaudreuil, Marguerite-Bourgeoys, Saint-Antoine, Robert, Bibeau et Sainte-Marie. La construction est confiée à la firme Collin & Frères. Il aura fallu 12 longues années pour qu’enfin on parle au passé du Projet Christ-Roi.

Le projet Christ-Roi, visant à améliorer les conditions de vie de plusieurs familles de ce quartier défavorisé, a été entaché par les longs retards engendrés par des tergiversations d’ordre administratif. Certes, la rénovation d’un quartier n’est pas une mince tâche. Mais malgré tout, il n’y a pas de doute qu’à la suite des changements apportés au quartier, notamment en ce qui concerne le logement, les conditions de vie se sont grandement améliorées pour les citoyens maskoutains habitant ce coin de la ville.

Partagez cette histoire