Catégorie: Culture
Sous-catégorie: Amusement public
Auteur: Martin Ostiguy
Avez-vous déjà entendu parler d’Alphonse « la balloune » Gervais? Il s’agit d’un des personnages les plus pittoresques ayant vécu à Saint-Hyacinthe au début du siècle dernier. Il nait le 7 décembre 1868. Il fait d’abord 36 métiers (cocher, pâtissier, gardien du bureau de poste) avant d’entreprendre la carrière qui le rendra célèbre : amuseur public. En 1909, il se porte acquéreur d’un théâtre sur la rue Piété (aujourd’hui Duclos) qu’il rebaptise « Le Bijou ». Il montre des films muets et agit comme bonimenteur, c’est-à-dire qu’il commente l’action pour les spectateurs. Camille Madore, un témoin de l’époque, se rappelle que Gervais, muni d’une grande baguette, montrait les personnages aux spectateurs en commentant : « Ça, c’est un bon » ou encore, « Celui-là, c’est le méchant! Regardez-y la face! » Plus tard, Alphonse Gervais ouvre un autre théâtre, situé sur la rue Saint-François : Le théâtre des Nouveautés. À cet endroit, on donne des numéros de vaudeville avec des poneys savants, des magiciens ou encore des danseurs sur patins à roulettes.
En plus de s’occuper de ses théâtres, M. Gervais était également le gérant du Parc Laframboise (actuel terrain de l’exposition). Féru de sport, il y organisait des parties de base-ball et des spectacles de toutes sortes. Il y installe un petit parc d’amusement avec carrousels et chevaux de bois. Il s’amuse à organiser des activités plutôt rares qui piquent évidemment la curiosité des maskoutains qui se rendent nombreux assister à ces événements. Par exemple, il organise un jour une course à dos d’autruches. Les jockeys n’étant pas habitués à enfourcher ces volatiles, l’expérience échoua mais l’assistance fut quand même très amusée par le spectacle de ces hommes tentant d’amadouer leurs montures à plumes. Un autre jour, il annonce le départ d’une montgolfière, qui ne s’envolera jamais, ce qui lui vaut le surnom de La Balloune.
Mais, c’est son petit train, baptisé par tous « le p’tit train à Gervais » qui a marqué les esprits. Il s’agissait d’une locomotive de 6 pieds de long et de 3 pieds de haut, représentant à l’échelle les engins de l’époque, qui tirait six wagons pouvant accommoder chacun huit personnes. Ce petit train faisait la navette entre une station située sur la rue Laframboise, en face de la E.T. Corset, et le Parc Laframboise. Le trajet faisait 1 kilomètre et demi. Le prix du billet est d’abord de 5 sous, puis, après quelques années il est augmenté à 10 sous. Le train était mû par la vapeur, vapeur obtenue en chauffant du bois ou du charbon. Il roulait à 40 km/h. Après la mort de Gervais, c’est la fonderie F.X. Bertrand qui se porte acquéreur du petit train. Elle s’en sert pour convoyer sa marchandise de l’usine à la Gare de chemin de fer. On perd ensuite la trace du petit train et personne ne peut dire avec certitude ce qu’il en advient.
Alphonse Gervais fut souvent l’objet de controverse. Par exemple, en 1904, Le Courrier l’accuse de recevoir un salaire fédéral (il est gardien au bureau de poste) et de faire de la cabale pour le candidat libéral, Aimé Majorique Beauparlant. En 1908, il fait brièvement de la prison pour une affaire de violence. En 1915, il est condamné à l’amende pour avoir omis de payer la licence pour l’exploitation de son théâtre. En 1916, alors qu’il est échevin de la ville, il est soupçonné d’avoir vendu son influence pour 50 $. La même année, T.-D. Bouchard, qui vient de faire construire sur la rue Cascades le théâtre Corona, accuse Gervais de vandalisme. Ce dernier est acquitté, faute de preuve. Le 25 juillet 1918, Alphonse Gervais meurt à Montréal où il demeurait depuis quelques jours. Ses funérailles qui ont lieu à la Cathédrale de Saint-Hyacinthe, attirent une grande foule, venue saluer une dernière fois le propriétaire du p’tit train à Gervais.