Article paru dans Le Courrier de Saint-Hyacinthe le 5 janvier 2023
Catégorie: Catastrophes
Sous-catégorie: Incendies
Auteur: Martin Ostiguy
Dans son édition du vendredi 21 janvier 1944, le journal Le Courrier annonce qu’un important incendie ravage, au moment même d’aller sous presses, tout un quartier commercial du centre-ville. Le feu fut découvert vers 8 :30 dans la cave du magasin de peinture Sherwin-Williams situé au 1290 rue des Cascades. Activé par des explosions dues aux produits hautement inflammables qui se trouvent dans le foyer d’incendie, le brasier se propage rapidement à tout le quadrilatère formé par les rues des Cascades, Sainte-Marie, Calixa-Lavallée et Duclos. Sept commerces, dont la cordonnerie Moreau, la sellerie Dolbec et la pharmacie Gaucher sont complètement détruits. Plusieurs logements sont également la proie des flammes et des familles se retrouvent à la rue. Devant l’ampleur du brasier, les sapeurs de l’École navale des Signaleurs, des pompiers de plusieurs municipalités environnantes, de même qu’une escouade de Montréal viennent prêter main forte aux hommes déjà sur place. Heureusement, aucune perte de vie n’est déplorée mais les dommages matériels se chiffrent entre 150 000 et 200 000 $. Ironiquement, le poste des pompiers se situait alors juste en face des immeubles incendiés.
Dès la semaine suivant l’évènement, Harry Bernard, le directeur du Courrier accuse l’administration de Télesphore-Damien Bouchard, alors maire de la ville et député provincial du comté, d’être en partie responsable du désastre. En effet, il semble que les pompiers aient manqué d’eau pour combattre efficacement le feu. Bernard prétend qu’au plus fort du sinistre, la pression d’eau baissa drastiquement jusqu’à cesser tout à fait. Il fallut donc s’alimenter directement à la rivière et au réservoir de la Penman’s, ce qui fit perdre un temps précieux aux pompiers. D’après Harry Bernard, il fut rapporté à l’administration Bouchard dès 1942, que le service d’aqueduc était désuet et que d’importants travaux s’imposaient. G.-René Richer, alors directeur des services municipaux, espérait que les travaux seraient effectués le plus tôt possible car la réserve d’eau désirée pour pouvoir combattre de gros incendies n’était pas suffisante. Pour Le Courrier, il est clair que M. Bouchard ne prit pas la menace au sérieux et ne prit pas les actions nécessaires pour corriger le problème alors souligné par M. Richer.
Dans l’édition du 4 février, Harry Bernard revient sur l’incendie et utilise un titre coup de poing pour illustrer son propos : « On laissa brûler ». Dans son texte, Bernard souligne que vers 10 :30, le matin du feu, la Southern Canada Power Company offrit à la ville le courant qui lui manquait pour tenir ses moteurs en marche afin que les pompes de l’aqueduc puissent marcher à plein rendement. Deux officiers supérieurs de la ville répondirent à la Southern qu’ils pouvaient s’arranger seuls et qu’ils n’avaient pas besoin de son aide. En fait, Bernard prétend que depuis la municipalisation de l’électricité dans Saint-Hyacinthe, projet particulièrement chéri par T.-D. Bouchard, l’efficacité du système électrique a beaucoup diminué et que la Southern faisait un meilleur travail. De là à conclure que l’administration Bouchard préféra laisser brûler le quadrilatère plutôt que d’obtenir de l’aide de la Southern, il n’y a qu’un pas, que Bernard franchit allégrement.
Pour sa part, T.-D. Bouchard se défend dans l’édition du 28 janvier de son journal, Le Clairon, éternel rival du Courrier. Il prétend que les dirigeants de la nouvelle majorité au Conseil (qui ne sont pas, on le comprend, des sympathisants du maire) ont eu tort de remercier de ses services René Richer et Louis Daudelin, chef-mécanicien du service des eaux pour, suppose-t-il, des raisons politiques. Daudelin était, selon Bouchard, le seul capable de maitriser le fonctionnement compliqué de l’aqueduc. Raoul Lassonde, le chef auto-proclamé du nouveau conseil, était convaincu que Daudelin utilisait des méthodes couteuses et il préféra engager un nouveau chef-mécanicien. Dès son entrée en fonction, le nouvel employé municipal découvrit une fissure dans une soupape. M. Lassonde, convaincu que son employé venait de découvrir la cause des problèmes dont l’Aqueduc souffrait depuis un certain temps, fit transporter la soupape rouillée devant l’Hôtel de ville. Il entendait démontrer ainsi à tous les citoyens l’incompétence de l’ancien conseil qui n’avait pas su trouver le problème. Or, la nouvelle soupape, qui devait être la solution miracle au problème n’empêcha pas le manque de pression de l’eau durant l’incendie du 21 janvier.
Évidemment, dans son article, M. Bouchard ne parle pas de l’offre refusée de la Southern Canada Power d’apporter son aide lors de l’incendie. Pas plus que M. Bernard ne signale l’inutilité d’avoir remplacé la soupape fêlée et surtout d’avoir voulu, de façon un peu puérile, en faire un exemple de la mauvaise administration du maire Bouchard. Il est intéressant de constater que, dans ce cas, comme sur maints autres sujets, Le Courrier et Le Clairon se renvoient perpétuellement la balle. Quoi qu’il en soit, peu importe qui a tort ou qui a raison, il reste que ce 21 janvier 1944 fut une journée funeste pour des dizaines de citoyens de Saint-Hyacinthe.