Texte paru dans Le Courrier de Saint-Hyacinthe les 7 et 14 juin 1989
Auteur: Raymond Girouard
L’abbé Elphège-Prime Filiatrault est né à Iberville, le 23 novembre 1850. Il était l’aîné des neuf enfants d’Étienne Filiatrault, marchand et instituteur, et de Thaïs Carère.
En 1902, l’abbé Filiatrault, alors curé de Saint-Jude, dessinait un drapeau qu’il nomma « Drapeau de Carillon » ; champ bleu, orné de quatre fleurs de lis pointées vers le centre, traversé d’une croix blanche.
Il hissait ce drapeau au balcon de son presbytère et le soumet à deux comités formés pour le choix d’un drapeau québécois. En plus, sous le pseudonyme « Un compatriote », il écrit une brochure intitulée : « Aux Canadiens français, notre drapeau ». Dans cette brochure, il relate l’histoire des drapeaux ayant déjà existé non-officiellement. Il semble accepter, par cette brochure, le drapeau « Union Jack » ou « Red Ensign » des Canadiens anglais, et ne semble admettre le drapeau français, comme certains le préconisaient.
« Mais il est temps, écrit-il, pour nous Canadiens français, de nous créer un drapeau national. Quels éléments convient-il que nous employions ? Avant tout, notre bannière de Carillon, c’est-à-dire, un champ bleu, une croix blanche et ses quatre fleurs de lis blancs pointant vers le centre. » Pourquoi notre bannière de Carillon ? Parce que la bataille de Carillon est la seule qui soit restée légendaire pour notre peuple canadien-français.
Le drapeau qu’il soumet plut aux deux comités, mais l’un deux ajoutait, au centre, l’effigie du Sacré-Cœur et déclenchait une vaste campagne à l’échelle de la province pour l’adoption de ce drapeau dit : « Carillon-Sacré-Cœur ». Cette initiative déplut au curé Filiatrault et à une grande faction de l’opinion publique. En février 1905, l’abbé Filiatrault revient à la charge et écrit une deuxième brochure intitulée « Nos couleurs nationales » qu’il signe cette fois de son nom. Il y explique : « Le peuple canadien d’aujourd’hui est l’ensemble de toutes les provinces confédérées, soit la puissance du Canada, mais ce peuple canadien à formation récente ne constitue pas ce que nous pourrions appeler une nation canadienne. Peuple n’est pas synonyme de Nation. »
Dans cet imprimé de 1905, il fait une dissertation sur le drapeau fleurdelisé qu’il a soumis. Il allègue, dans cette brochure, l’inconvenance de l’effigie du Sacré-Coeur sur un drapeau qui doit représenter une nation, dont pluralité des croyances religieuses. Il semble trouver inconcevable qu’un drapeau qui porte l’effigie du Sacré-Coeur soit arboré dans des réjouissances populaires et publiques. Il termine ainsi : « À l’oeuvre donc le 24 juin prochain et que ce jour devienne une date de notre histoire par l’apparition de notre drapeau national. »
En juin 1905, à l’occasion de la Saint-Jean-Baptiste, un mât de plus de 60 pieds fut élevé à Saint Jude, au centre de la rue Saint-Edouard, angle de la rue Saint-Pierre. Le drapeau « fleudelisé » du curé Filiatrault fut hissé au mât au son de la fanfare de Saint-Aimé. Messe d’ouverture en l’église paroissiale de Saint-Jude, un sermon vibrant de patriotisme par l’abbé Filiatrault ; un reportage du journal La Patrie couvrait cet événement.
Toutefois, en 1926, l’Assemblée législative, qui paraissait ne savoir quelle position adopter face à cette campagne publicitaire pour le drapeau Carillon-Sacré-Coeur, lui donne un genre de consécration officielle et le donne pour couleurs à la Société Saint-Jean-Baptiste de Québec, qui le conservera dans la refonte de sa charte, en 1937. Le drapeau Carillon du curé Filiatrault restera aux oubliettes jusqu’en 1948. Le 21 janvier 1948, à trois heures de l’après-midi, ce drapeau, mais avec fleurs de lys verticales, était hissé sur le parlement du Québec, alors qu’en chambre, le premier ministre, l’honorable Maurice Duplessis, annonçait que ce drapeau était maintenant officiel. Le 9 mars 1950, la loi concernant le drapeau officiel était unanimement adoptée par l’Assemblée nationale, avec publication dans la Gazette officielle le 21 avril suivant. La suggestion du curé Filiatrault devenait donc réalité.
Un exemplaire de ce drapeau Carillon existe encore aujourd’hui, du seul tirage, semble-t-il, qu’ait fait imprimer l’abbé Elphège Filiatrault. Ce drapeau fut trouvé intact, récupéré par le sacristain dans un meuble abandonné au grenier du presbytère de Saint-Jude. Il fut miraculeusement préservé lors de l’incendie de 1939, qui faillit détruire de fond en comble ce presbytère. Il est maintenant conservé au Centre d’histoire de Saint-Hyacinthe.