Article paru dans Le Courrier de Saint-Hyacinthe les 25 mai et 1er juin 2023
Catégorie: Politique
Sous-catégorie: Députés provinciaux
Auteur: Martin Ostiguy
Le 1ier juillet 1867 entre en vigueur l’Acte de l’Amérique du Nord Britannique qui sépare le Canada-Uni en deux provinces distinctes : l’Ontario et le Québec. Les deux nouvelles entités se joignent aux deux colonies britanniques, le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse pour former le dominion du Canada. Narcisse-Fortunat Belleau, le dernier premier-ministre du Canada Est (qui devient la province de Québec) est nommé lieutenant-gouverneur. Il désigne Pierre-Joseph-Olivier Chauveau, le chef des Conservateurs, comme premier premier-ministre de la province. Des élections sont alors déclenchées pour élire un gouvernement tant au fédéral qu’au provincial. Les Conservateurs, que l’on appelle les bleus à l’époque, seront vainqueurs à chaque pallier de gouvernement.
Le parti libéral du Québec se constitue entre 1867 et 1869 avec à sa tête Henri-Gustave Joly de Lotbinière. Le parti libéral est dans la continuité de trois partis nationalistes qui marquèrent la première moitié du XIXe siècle : le Parti Canadien, le Parti Patriote et le Parti Rouge. Le nouveau chef, par contre, essaie de déradicaliser l’image du parti que les conservateurs tentent souvent d’associer au communisme et au socialisme. Il reste toutefois que les libéraux sont beaucoup plus progressistes que les conservateurs, tant sur le plan social qu’économique. Le parti est considéré comme étant anticlérical. L’Église appuie donc systématiquement le parti conservateur lors des élections, ce qui contribuera grandement au succès des Bleus pendant les trois décennies suivantes. Saint-Hyacinthe ne suit pas le mouvement et il fait élire l’un des treize députés libéraux de la première législature. Les conservateurs obtiendront 51 sièges.
Pierre Bachand est notre premier député. Il nait à Verchères le 22 mars 1835. Il est le fils de Joseph Bachand, cultivateur, et de Josephte Fontaine. Il grandit à Saint-Damase, avant d’entamer ses études classiques au Séminaire de Saint-Hyacinthe. Il étudie ensuite le droit sous la direction de Louis-Victor Sicotte, juge à la Cour supérieure du district de Saint-Hyacinthe. Sicotte, qui fut député de la circonscription dans l’ancien système, était d’allégeance libérale et il eut une grande influence sur la pensée et la carrière de son élève. Bachand épouse en 1859 Delphine Dufort dont il eut trois filles. Il est reçu au barreau le 3 décembre 1860. Durant ses études, il se distingue en occupant les fonctions de sous-protonotaire de la Cour supérieure et d’assistant-greffier à la Cour de circuit. En 1862, il abandonne ces deux fonctions pour ouvrir une société d’avocats avec Jean-Baptiste Bourgeois, un ami et ancien confrère du Séminaire. Il devient veuf en 1864. Quatre ans plus tard, il épouse en secondes noces Marie-Louise Marchand, fille de Louis Marchand, fondateur de la compagnie de navigation Richelieu et Ontario. Le couple eut huit enfants dont la plupart moururent en bas âge, comme c’était malheureusement souvent le cas à cette époque.
Dès le début de sa vie professionnelle, Bachand est très actif auprès de sa communauté. En 1871, il met sur pied la Chambre de commerce de Saint-Hyacinthe. Deux ans plus tard, il fonde, avec d’autres, la Compagnie manufacturière de Saint-Hyacinthe. Comme avocat, il a une importante clientèle dans les domaines industriel et commercial et il veut aider ses clients à prospérer davantage, convaincu que ces domaines florissants entraineront un essor intéressant pour sa ville. C’est dans ce but qu’il fonde, avec, entre autres, Georges-Casimir Dessaulles et Maurice Laframboise, la Banque de Saint-Hyacinthe dont il fut co-directeur et président de 1874 à sa mort, en 1878. À son décès, la banque se compare favorablement à plusieurs autres institutions financières, et ce malgré la crise économique qui fait rage à cette époque.
Sur le plan politique, Bachand sera d’abord conseiller municipal de 1862 à 1867. Puis, il se lance en politique provinciale. Il décide de briguer le poste de député. C’est Magloire Lanctôt, un ancien confrère de l’étude de Louis-Victor Sicotte, qui se présente contre lui pour les conservateurs. Si Lanctôt a l’appui du gouvernement fédéral et de l’Évêché de Saint-Hyacinthe dans cette lutte, Bachand remporte tout de même la victoire grâce à sa notoriété qu’il doit à son implication dans les affaires de la ville. Bachand est un libéral modéré. S’il n’est pas très en faveur de la confédération, comme plusieurs libéraux de l’époque, il n’en fait pas pour autant son cheval de bataille. Pour lui, ce qui importe surtout, c’est le développement économique de sa circonscription. Il entend également favoriser la modernisation de l’agriculture, fort importante dans le comté. Il est très apprécié de ses commettants. Aux élections de 1871, puis à celles de 1875, il est réélu par acclamation, personne n’ayant osé se présenter contre lui.
Avec Félix-Gabriel Marchand, député de Saint-Jean et futur premier-ministre, Bachand est considéré comme l’un des principaux lieutenants du chef de l’opposition, Joly de Lotbinière. Il se fait remarquer par sa capacité exemplaire à questionner efficacement et de façon redoutable les ministres en chambre. Il reproche souvent au gouvernement de mal gérer les dépenses de l’État et d’avoir trop souvent recours à la taxation directe pour équilibrer le budget de la province. Il blâme également les conservateurs pour leur incapacité à freiner l’exode massif des Canadiens français vers les États-Unis, véritable fléau à cette époque. Son grand combat demeure toutefois le développement du chemin de fer sur la Rive Sud. Il accuse les conservateurs d’accaparer tous les fonds de la province dans ce domaine au bénéfice du nord. En 1876, il considère comme une victoire personnelle l’octroi de subsides qui mènent à l’inauguration du chemin de fer reliant Saint-Hyacinthe, Saint-Pie et Ange-Gardien sous les auspices de la Saint-Hyacinthe Stanbridge Railways Company.
En février 1878, un an et demi avant la fin du terme du premier-ministre conservateur Charles Boucher de Boucherville, coup de théâtre à Québec. Le lieutenant-gouverneur, Luc Letellier de Saint-Just, en désaccord avec une décision du gouvernement concernant le financement du chemin de fer entre Montréal et Québec, annonce à de Boucherville qu’il ne peut le maintenir dans ses fonctions. Letellier de Saint-Just étant un libéral, les conservateurs parlent alors de coup d’état. Quoi qu’il en soit, de Boucherville n’a d’autre choix que de démissionner. Le lieutenant-gouverneur demande à Joly de Lotbinière de former un gouvernement. À la demande du nouveau premier ministre, notre député devient le premier francophone à occuper la fonction de trésorier de la province. À partir de ce moment, il devient clairement le membre le plus en vue du cabinet. Plusieurs journaux de l’époque parlent même de l’administration Joly-Bachand.
Les libéraux étant minoritaires en chambre, ils sont rapidement défaits et des élections sont déclenchées le 23 mars. Cette fois, Pierre Bachand aura un adversaire de taille en la personne d’Antoine Casavant dit Ladébauche, un agriculteur de Saint-Dominique fort populaire dans les campagnes environnant Saint-Hyacinthe. Bachand ne l’emportera qu’avec une mince majorité de 68 voix. Le 18 juin, il présente son premier (et seul) budget. C’est la première fois que le discours budgétaire est prononcé en français en chambre. De santé fragile, Bachand, épuisé, tombe gravement malade à la fin août. Son état de santé ne cesse de se détériorer et il meurt le 3 novembre 1878 à l’âge de 43 ans dans sa maison, située à l’angle ouest des rues Girouard et Ste-Marie. Plusieurs notables, non seulement de la région mais de la province, assistent à ses funérailles. Notre premier député étant mort en fonction, des élections partielles ont lieu dans la circonscription le 3 juin 1879 et Honoré Mercier devient le nouveau député libéral de Saint-Hyacinthe.
Les deux clips qui suivent font partie de la série «Nos élus à Québec», initiative rendue possible grâce à la collaboration de Chantal Soucy, députée de Saint-Hyacinthe à l’Assemblée nationale.