Article paru dans Le Courrier de Saint-Hyacinthe le 21 décembre 2017
Catégorie: Arts
Sous-catégorie: Littérature
Auteur: Pascal Audry
Notre histoire commence au printemps de 1854, au Palais de justice de la ville de Saint-Hyacinthe. En ce lundi 15 mai sont réunis des Maskoutains afin « d’organiser une société littéraire devant fournir à ses membres l’avantage d’une bibliothèque, d’un cabinet de lecture, de discussions et de lectures sur différents sujets. Cette société qui sera ouverte à tout le monde sans distinction portera le nom d’Institut Canadien de Saint-Hyacinthe ».
Il faut savoir qu’à l’époque, les bibliothèques publiques n’existent pas. En ouvrant une succursale à Saint-Hyacinthe (le tout premier Institut Canadien est inauguré à Montréal en décembre 1844), on vise à diffuser les connaissances et à favoriser l’accès au savoir. La bibliothèque de l’institut maskoutain contient un nombre important de livres, soit « près de 350 volumes » seulement quatre mois après l’inauguration et l’on y trouve aussi plus d’une douzaine de journaux.
Pour devenir membre de l’association, il fallait débourser un montant, payable en deux versements. Les gens qui déboursaient ce tribut devenaient des membres actifs, recevaient une carte de membre et pouvaient voter aux élections biannuelles. La constitution de l’Institut – document imprimé sorti des presses du Courrier de Saint-Hyacinthe – stipulait que « toute personne étrangère à l’Institut peut s’abonner à la chambre de nouvelles et à la bibliothèque, en se conformant aux règlements. »
L’Institut Canadien de Saint-Hyacinthe est fondé en mai 1854 et disparaît vers 1873. Parmi les 90 dirigeants différents que nous avons pour l’instant dénombrés, nous comptons une quinzaine d’avocats, neuf notaires, quelques médecins et pharmaciens ainsi qu’un bon nombre de commerçants. En 1870, on lit dans la Gazette de Saint-Hyacinthe que « l’Institut Canadien compte parmi ses membres environ 75 des meilleurs citoyens de Saint-Hyacinthe ». Précisons que les membres de l’institut, que ce soit les dirigeants (élus en mai et en novembre) ou les membres réguliers ne sont que des hommes. Quelques soirées ont toutefois des « sièges réservés pour les dames ».
Soulignons les liens entre certains membres de l’Institut et la politique municipale : ainsi, parmi les dix premiers maires de la ville de Saint-Hyacinthe, sept furent un jour membre dirigeant de l’Institut Canadien. Il s’agit, dans l’ordre, de Louis-Antoine Dessaulles, Magloire Turcot, Adolphe Malhiot, Georges-Casimir Dessaulles, Lewis-Francis Morison, Eugène St-Jacques et de Louis Côté. Cette courte liste de noms et de professions nous renseigne sur l’aisance des membres dirigeants de l’association qui font certainement partie de l’élite maskoutaine; ces hommes sont pour la plupart des lettrés ayant fréquenté le séminaire. Rappelons qu’au 19e siècle, l’analphabétisme est davantage la norme que l’exception, surtout dans les milieux agricoles et artisans.
C’est justement pour cette raison que nous aurions tort de considérer que l’Institut Canadien de Saint-Hyacinthe n’est qu’une bibliothèque semi-publique réservée à une élite bien nantie : rien n’est plus faux. Certes, l’Institut est un lieu où se rassemblent les Maskoutains pour lire, pour emprunter des livres et consulter des journaux. Or, c’est aussi une tribune où on discute sur des sujets préalablement déterminés, où des conférences sont présentées, ce qui signifie que les connaissances ne sont pas exclusivement diffusées par l’écrit.
L’Institut Canadien est aussi l’hôte de soirées de divertissement et de loisir, comme cette soirée du 14 juin 1855 où l’on présente « la science de la magie, [qui] comme toutes les autres sciences, progresse tous les jours ». L’Institut Canadien organise donc des événements publics qui s’avèrent être plus diversifiés que les mandats auxquels on associe habituellement une bibliothèque.
Il faut aussi préciser que l’Institut Canadien de Saint-Hyacinthe existe comme corps, en tant qu’association publique qui parade lors des événements, festifs ou non. Par exemple, lorsqu’on célèbre la Saint-Jean-Baptiste (ce n’est pas toujours spécifiquement le 24 juin à l’époque), des membres de l’Institut paradent sous sa bannière, à l’instar d’autres associations ou groupes locaux, comme la bande de musique du séminaire, l’association St-Jean Baptiste ou les compagnies de pompiers, pour ne nommer qu’eux. Tous sont visibles et cherchent à se distinguer lors de ces moments de sociabilité ; tous participent à la vie publique de la cité de Saint-Hyacinthe.