Article paru dans Le Courrier de Saint-Hyacinthe en février 1996
Catégorie: Arts et culture
Sous-catégorie: Télévision
Auteur: Paul Foisy
Un Studio de télévision à Saint-Hyacinthe?
Dans cette recherche sur l’avènement de la télévision, un petit article publié dans Le Clairon du 15 février 1952 a particulièrement attiré mon attention. « La télévision débutera à la Québec-Productions. Des pourparlers seraient engagés en vue de téléviser des pièces aux studios de Saint-Hyacinthe ». Ainsi titré, cet article fait état de négociations entre une firme américaine, non mentionnée, et la compagnie Québec-Productions.
Fondée en 1946, par Paul L’Anglais et le financier René Germain, cette compagnie qui œuvra dans le domaine du cinéma, installe ses studios à Saint-Hyacinthe au printemps de la même année. Avec l’aide du président de la Chambre de Commerce de Saint-Hyacinthe de l’époque, Paul-Émile Poirier, Québec-Productions achète les casernes de la Marine dont la salle d’entraînement mesure 225 x 85 pieds. Cette grande salle deviendra le principal studio. Des succès du cinéma québécois naissant, « Le curé de village » (1947), « Un homme et son péché » (1949) et quelques autres seront ainsi tournés à Saint-Hyacinthe.
Même si ces négociations échouent, cet article du Clairon est néanmoins important puisque la description des tâches entre Américains et Canadiens reflète la mentalité qui prévaut à l’époque: « Il est entendu qu’au début, techniciens, cameramen et même acteurs viendront des États-Unis, mais une fois l’entreprise solidement établie, on fera appel à des Canadiens ». Cette façon de procéder était en contradiction avec le mandat de Radio-Canada qui voulait assurer une télévision toute canadienne dans sa production et dans son contenu. Bien que Saint-Hyacinthe n’obtient pas ses studios de télévision, l’avènement de ce nouveau média a tout de même un certain impact pour la région.
La télévision, agent culturel
Dans les années 1950, l’avènement de la télévision, par sa grande diffusion de masse, contribue à la propagation de la culture nationale. Par son immense popularité, elle devient agent culturel; les grands courants d’idées disposent enfin d’un vaste auditoire qui ne demande qu’à recevoir toute l’information transmise alors par le truchement des journaux, du cinéma et de la radio. Au-delà de cet aspect idéologique, la télévision n’en changera pas moins le quotidien de bien des gens.
Avant l’apparition de la télévision, il était courant pour les vendeurs de postes de radio, de publiciser la qualité de leurs appareils dans les journaux maskoutains. À partir de l’été 1952, il y aura une évacuation presque totale de ce genre de publicité; la télévision sera désormais très présente dans les pages du Courrier et du Clairon. On dénombre pas moins de sept publicités de marchand de téléviseurs dans Le Courrier du 25 juillet 1952. Les premières années de la télévision s’avèrent lucratives pour ces divers marchands: certains poussent l’audace à installer des téléviseurs chez les gens pour quelques jours d’essai. Il va sans dire que lorsque l’appareil entre dans la maison, il n’en ressort que quelques années plus tard!
Au fil des mois, la télévision devient rapidement un cadeau de choix que différentes organisations offrent en maintes occasions. Dans son édition du 22 mai 1953, Le Courrier publie une photo des Dames auxiliatrices de l’Hôpital des Anciens Combattants, remettant un poste de télévision pour le plus grand plaisir des patients. Le 26 octobre de la même année, Le Courrier souligne le tirage d’un téléviseur, d’une valeur de 500$, lors d’un match de hockey opposant les Lions de Saint-Hyacinthe à l’équipe des Castors de Sainte-Thérèse. Avant ces deux événements, Le Clairon mentionne dans sa publication du 28 novembre 1952, en première page, le tirage de cet appareil de télévision dans le cadre du troisième Festival du Commerce. Le 9 janvier 1953, Le Courrier fait suite à la nouvelle en page 1: « Mlle Micheline Brodeur, 1185, rue Morison, Saint-Hyacinthe, est l’heureuse gagnante de l’appareil récepteur de télévision offert en tirage par les marchands de Saint-Hyacinthe à l’occasion du Festival du Commerce, tenu sous les auspices de la Chambre de Commerce du district de Saint-Hyacinthe ».
Les organisateurs du Festival récidivent l’année suivante et les cérémonies d’ouverture du quatrième festival sont présentées aux actualités télévisées de Radio-Canada. Afin de bien situer l’événement, la page frontispice de l’édition spéciale du Clairon du 27 novembre apparaît à l’écran. Le Clairon ne manque pas de souligner l’histoire le 11 décembre 1953 en page 1: « Merci à la Société Radio-Canada de l’excellente publicité faite à Saint-Hyacinthe, qui aura sûrement eu pour effet d’éveiller la curiosité des milliers de téléspectateurs et qui devrait nous valoir la visite de plusieurs d’entre eux ».
Le grand marathon annuel couru le 8 octobre 1953 sera également un événement maskoutain diffusé au petit écran. Le Courrier du 6 octobre nous informe, en page 19, que la course passera au programme « Actualités sportives » « Télé-sports ». Gérard Côté en sera le gagnant. C’est pourtant le 26 février 1954 que les Maskoutains représenteront notre ville à la télévision. Dans le cadre de l’émission « Interurbain » un jeu questionnaire portant sur l’actualité provinciale, nationale et internationale, messieurs Benoit Benoit, Roger Leblond et mademoiselle Denyse Beaudry affronteront l’équipe de Saint-Jérôme.
L’incidence de la télévision sur la population est réelle. Gérard Laurence, dans un article sur le début des affaires publiques à la télévision, paru dans La Revue d’histoire de l’Amérique française en septembre 1982, en résume bien l’impact sur la société québécoise: « Une nouvelle paroisse se constitue, à l’échelle de la Province, l’antenne de télévision en devient le nouveau clocher ».
La télévision demeure depuis son apparition le media de divertissement par excellence (1). Son avènement a pour effet d’intensifier le phénomène de médiatisation des formes culturelles. Après les journaux, le cinéma et la radio, la télévision contribue à propager la culture urbaine dans les régions.
La région de Saint-Hyacinthe n’est pas épargnée par ce phénomène. Comme nous l’avons vu précédemment, beaucoup d’articles portant sur la télévision ont été publiés dans Le Clairon et Le Courrier. Les lecteurs maskoutains ont ainsi été informés, dans la période 1950-1954, de la venue de la télévision au Canada, des progrès techniques, du mandat de Radio-Canada et de la formation de ses équipes, puis finalement de la programmation disponible pour les téléspectateurs.
La télévision, source d’inquiétude?
Durant la période étudiée, nous n’avons retracé que deux articles remettant en cause l’impact de la télévision. Dans un entrefilet publié dans Le Courrier, en date du 7 août 1953, la Fédération des Sociétés Saint-Jean-Baptiste du Québec déplore la trop grande place du sport à la télévision. Pour la Fédération, il faut rétablir un certain équilibre entre les programmes sportifs et les autres émissions culturelles: « …si nous n’y prenons garde, (la jeune génération) n’attachera plus d’importance qu’aux manifestations sportives et méprisera souverainement, demain, toutes les valeurs intellectuelles, morales ou esthétiques ». Le deuxième article, paru dans Le Courrier du 8 août 1954, interpelle le lecteur: « La Télévision tuera-t-elle la Radio? ». Pour certains, la suprématie de l’image fera disparaître la radio, car malgré le prix élevé des appareils (de 400 à 1 000 dollars), les téléviseurs se vendent comme des petits pains chauds. Pour les autres, les coûts élevés des récepteurs et des productions télévisuelles sont garants de la continuité de la Radio puisqu’elle conservera son utilité, « celle de permettre la réalisation à peu de frais de programmes d’information et d’éducation. Celle aussi de fournir un réseau moins coûteux de publicité commerciale ».
Ces inquiétudes sur l’apparition de la télévision, bien qu’elles soient fondées, sont précédées dans le temps par les soucis plus terre à terre. Le 6 février 1953, le Conseil municipal de la cité de Saint-Hyacinthe, sous l’autorité du maire Picard, adopte le règlement numéro 693. Celui-ci vise l’amendement du règlement sur la construction Numéro 575 concernant les cheminées. Dans un but sécuritaire, afin de ne pas nuire au personnel des services de ramonage et des incendies, cet amendement stipule qu’il est interdit d’attacher, ou de maintenir attachées des antennes de radio ou de télévision sur toute cheminée ou ses parois. Cette prolifération d’antennes ne fera qu’un temps, puisque la télévision câblée sera de plus en plus populaire.
Quatre compagnies ont contribué au câblage et à la distribution du signal télévisuel dans la région de Saint-Hyacinthe. (2) Radio-Saint-Hyacinthe, Télé-Câble, Câblestrie et finalement Cogeco ont tour à tour assumé le rôle de câblodistributeur. Si en septembre 1978 le câble n’était disponible qu’au centre-ville, dans le Bourg-Joli, à La Providence et dans le quartier Assomption, le réseau couvre aujourd’hui (en 1995) la région, et Cogeco comptait, en mai 1995, plus de 18,867 abonnés. À Saint-Hyacinthe, en plus de distribuer le signal, ces différentes compagnies ont été tenues, par les règlements du CRTC, d’offrir à la population un canal communautaire.
C’est ainsi que le canal TVC-4 a débuté le 2 septembre 1975. À l’époque, le canal diffuse ses émissions sans montage, en noir et blanc et ne compte qu’environ deux heures d’émissions par semaine. En 1995, sa programmation est de 36 heures par semaine dont seize sont réalisées à Saint-Hyacinthe.
La télévision demeure aujourd’hui une vaste industrie; certains y participent activement, les autres en jouissent dans la chaleur de leurs foyers.
Notes
(1) Du moins, lors de la rédaction de cet article en 1995.
(2) Cet article a été rédigé en 1975. Depuis cet temps, d’autres acteurs sont intervenus dans le domaine.