Dans cette section vous trouverez cinq thématiques qui sont ressorties de notre recherche et qui englobent le phénomène des inondations. Celles-ci vont vous permettre de mieux comprendre les différentes étapes, de la prévention à la résilience, que subit la population au moment de ces catastrophes.
Vu la fréquence avec laquelle ont lieu les inondations, vous vous demandez sûrement qu’elles ont été les méthodes utilisées afin de prévenir le plus possible ces désastres ou du moins, d’en atténuer leur intensité. En fait, plusieurs solutions ont été employées, par la ville ou par la population.
L’une d’entre elles consiste à dynamiter la glace un peu avant la venue du temps chaud. Des ingénieurs percent alors des trous dans la glace à des endroits stratégiques afin d’y placer des explosifs. L’objectif de cette pratique est de provoquer artificiellement la débâcle afin qu’elle ne se produise pas en même temps que la fonte complète de la neige. Cette technique permet de limiter la hauteur de l’eau et de diminuer les chances d’embâcle. Elle fut employée, en 1887, où un ingénieur de la Hamilton Powder Company a fait exploser la glace au niveau du pont du chemin de fer jusqu’au cimetière. Cette tactique semble avoir un succès relatif, puisque cette même année, une inondation frappe le bas de la ville.
Une autre formule consiste à creuser le lit et d’enlever les gros rochers de la rivière afin de prévenir d’éventuelles formations d’embâcle. En effet, plus le niveau de l’eau est bas plus les glaces peuvent se coincer dans les rochers et former un bouchon sur la rivière. Ce genre de travaux ont par exemple été effectués, vers 1909-1910, en face des rapides plats où « les roches à fleur d’eau arrêtaient les glaces et formaient ainsi vis-à-vis du Séminaire une digue qui était la cause des inondations ».
Une autre approche est de freiner la montée de l’eau en rehaussant le niveau des trottoirs aux endroits susceptibles d’être atteints par la crue. Le 4 octobre 1902, Le Courrier nous informe de la fin de la construction d’un nouveau trottoir de la rue Saint-Antoine. Celui-ci a une élévation de 1,5 mètre au-dessus du niveau de la rue et est entièrement constitué de pierres. Le but est alors de protéger les résidences de cette rue de la crue des eaux printanières. Cette solution semble toutefois provenir d’une initiative locale et non pas de la ville directement, puisque l’on peut retrouver dans les procès-verbaux de la ville, une demande faite par les citoyens de rehausser le trottoir de la rue Sainte-Marguerite.
Dans cette même logique, la Ville entame les démarches pour la construction d’un mur de protection en 1939. En pleine crise économique mondiale, un premier projet voit le jour. Ce projet découle d’une tentative du gouvernement provincial de limiter le chômage dans la région. La construction d’un mur permettrait donc non seulement de prévenir les inondations, mais aussi de donner des emplois aux travailleurs non spécialisés qui souffrent de la crise économique. C’est donc à cette fin que 30 000 $ soient versés à la Ville de Saint-Hyacinthe, afin de débuter la construction d’un mur de 915 mètres sur le côté de la ville. Le plan que vous pouvez observer nous indique que la hauteur du mur est de 3,66 mètres et qu’il est construit sur la berge du pont de la Société (Barsalou) jusqu’au pont Morison. Bien que ce mur soit construit, son efficacité est limitée, puisque d’autres inondations majeures surviendront après la construction du mur.
Deux types de destruction semblent imputables à la crue des eaux. Le premier est celle directement causée par le courant de l’eau qui peut parfois être très considérable sur les berges de la rivière. Il y a ensuite celui lié à l’accumulation de l’eau sur le territoire.
Le courant est particulièrement dévastateur lorsqu’il y a une crue des eaux et que le débit de la rivière se retrouve augmenté. Il est si puissant, qu’il peut emporter les ponts et les bâtiments de la ville. Parmi ceux-ci le pont Barsalou est particulièrement vulnérable, puisqu’il est le premier à affronter le torrent. De plus, à une certaine époque, les structures sont faites principalement de bois, accentuant leur précarité. Il n’est donc pas rare de voir céder les ponts au fil des débâcles.
Le courant emporte ensuite tout ce qui se trouve proche de la berge et qui n’est pas solidement ancré au sol. Maisons, moulins, granges, trottoirs sont ainsi fréquemment emportés. Évidemment, le flot emporte tout ce qui est présent dans les rues, comme les charrettes, mais aussi les matériaux de construction. En effet, l’entreprise L-P Morin et Fils fait paraître une annonce dans l’édition du journal Le Courrier de novembre 1927, comme quoi elle aurait perdu du bois de construction durant l’inondation . La scierie demande même à la population de lui rendre ses billots si elle les retrouve sur le bord de l’eau .
Les dégâts causés par accumulation de l’eau, quoique moins spectaculaires, n’en sont pas moins dommageables pour les infrastructures. En effet, les fréquentes expositions aux inondations favorisent la dégradation des édifices, notamment par la moisissure. Même chose pour les meubles et les provisions qui se trouvent à l’intérieur des habitations. L’accumulation de l’eau rend ensuite les routes impraticables et bloque les communications avec les autres villages.
Les inondations provoquent ensuite bien des dommages au niveau environnemental. En effet, la crue des eaux cause des dégâts aux arbres et aux jardins qui sont situés trop près de la rive, comme durant l’inondation de 1923 :
«Mais ce qu’il y a de plus malheureux et de plus à plaindre ce sont […] les femmes […] dont les jardins avoisinaient la rivière. Ces jardins peuplés d’arbres fruitiers et plantés de légumes, leur seule ressource, ont été ruinés par les eaux, dévastés […] par la violence du torrent […]. »
-Le Courrier de Saint-Hyacinthe novembre 1923
L’inondation et le courant fragilisent le terrain ce qui peut provoquer des éboulis comme en 1898, où un terrain de 91,5 mètres de long sur 10,5 mètres de large, près du pont de la Société, s’est affaissé dans les eaux . Si l’on appose un regard plus contemporain sur ces inondations, il est possible de spéculer qu’il dût y avoir une contamination des sols. En effet, l’eau touche plusieurs industries riveraines qui, selon les époques, peuvent avoir des matières polluantes comme du gaz ou de l’huile en réserve. Avec l’augmentation du niveau de l’eau, il est possible que ces matières toxiques se soient répandues et qu’elles aient contaminé les sols autour des industries.
Il est important de noter que malgré toute cette destruction, notre recherche n’a pas mis au jour des personnes décédées des suites de ces incidents. Plusieurs hypothèses peuvent être émises sur cette absence de mortalité. D’une part, il est probable que le caractère inévitable et fréquent des inondations fait en sorte que la population soit bien avertie des dangers reliés à la débâcle. Ceux-ci ont sans doute le temps d’évacuer avant que la situation ne dégénère. D’autre part, l’on peut spéculer que le courant est particulièrement dangereux pour les quelques maisons situées sur la rive et non pas pour la totalité de la zone inondée, limitant le nombre de personnes exposées à un réel danger.
Vous l’aurez sans doute compris, les inondations sont des situations critiques où, dans les pires moments, plusieurs familles se retrouvent en situation de détresse. Pour venir en aide aux sinistrés, les policiers, mais aussi des civils, mettent la main à la pâte afin de sauver les victimes.
Celles-ci peuvent se retrouver dans une dangereuse position, puisqu’il est possible de rester coincé dans son domicile, entouré d’un fort courant. Certains inondés se retrouvent donc contraints de devoir quitter leur domicile complètement inondé. Dans cette situation, il s’agit donc, pour les autorités et les bons samaritains, d’effectuer une opération d’évacuation.
Ce genre de manœuvre semble avoir laissé peu de traces dans les archives policières, puisqu’aucune source de ce genre n’a été trouvée. On ne peut donc que spéculer sur la façon dont le sauvetage s’organise. Durant l’inondation du 21 avril 1939, il est rapporté dans Le Courrier que des sauveteurs, sous la direction de la police, ont passé la journée à diriger les victimes vers les lieux sécuritaires, prévus à cet effet. Même chose pour l’inondation de 1862 où le Le Courrier remercie « tous ceux […] qui se distinguèrent par leur bravoure » au moment de l’inondation . Dans tous les cas, des policiers dirigent les citoyens afin de distribuer des bateaux et d’évacuer la population le plus rapidement possible. En 1936, le chef de police Adjutor Bourgeois, aidé par le service d’incendie, va même jusqu’à prendre la décision de réquisitionner les bateaux pour secourir la population. L’opération de sauvetage se fait alors à la chaloupe ou à dos de cheval, même si à certains endroits, ceux-ci perdent pied tant l’eau est profonde.
Les lieux sécuritaires vers lesquels les autorités dirigent les inondés restent sensiblement les mêmes d’année en année. L’établissement le plus fréquemment utilisé est l’étage supérieur du marché centre, qui sert à plusieurs reprises à accueillir les familles durant les quelques jours que pouvait durer l’inondation. Ce lieu spacieux et près du quartier n’a jamais été inondé, il est donc parfait pour accueillir les sinistrés. Un autre lieu servant d’abris est l’Ouvroir Sainte-Geneviève, qui se situe sur la rue Saint-Antoine, entre les avenues Duclos et Sainte-Marie, dont les étages en hauteur sont bien à l’abri de l’eau. Comme le dit Mgr Choquette, l’Ouvroir est une « succursale » de l’Hôtel-Dieu dont le but était de venir en aide aux pauvres, aux femmes et aux enfants. En ces temps critiques, des personnes se sont réfugiées à l’intérieur de ce bâtiment notamment durant l’inondation de 1936. Les religieuses qui dirigent l’établissement contribuent à la distribution de vivres. Finalement, d’autres bâtiments, mis à la disposition par des propriétaires charitables, ont pu servir aussi de refuges publics. Par exemple, les salles du Club libéral du quartier un ont déjà servi d’abris en 1936.
Après la destruction apportée par les inondations, il incombe à la Ville et aux citoyens de nettoyer les dégâts occasionnés par celles-ci. Ainsi, les ponts, les trottoirs et les barrages endommagés doivent être réparés afin de permettre un retour à la vie normale.
Il est intéressant de remarquer que les ponts maskoutains ont autrefois appartenu à des particuliers. Ces entrepreneurs doivent user de leurs propres moyens afin de les entretenir ou, lorsqu’ils sont détruits par les inondations, de les reconstruire. Après le rachat des droits de passages par la Ville en 1912, c’est à la Ville que la reconstruction incombe. On fait alors appel à des promoteurs afin d’effectuer l’évaluation des coûts du nouveau pont et de faire des offres de services. Vous pouvez voir à quoi ressemble ce genre de documents un peu plus bas.
Aussi, des fonds sont alloués afin de réparer les trottoirs emportés et de nettoyer les rues. En effet, les rues se retrouvent complètement couvertes d’une couche de limon, là où il y a eu une accumulation d’eau. En plus du limon, il faut aussi déblayer les blocs de glace et les débris qui ont été déposés par le courant. Ces blocs peuvent parfois atteindre une taille immense ! Qui plus est, une grande opération de pompage de l’eau doit être mise en branle par les résidents pour retirer l’eau qui s’est accumulée dans les sous-sols. En 1936, la Ville fait même appel au Service de pompier et leur pompe à vapeur afin d’accélérer le déblayage de l’eau. C’est le cas aussi des écoles qui doivent retirer l’eau de leur sous-sol afin de faire fonctionner les fournaises qui servent à chauffer le bâtiment afin de rouvrir. Une opération d’assainissement doit ensuite être mise au point afin d’enlever toute humidité des soubassements. Les autorités distribuent donc de la chlorure de chaux, selon les conseils du comité d’hygiène, afin d’en répandre dans les sous-sols inondés.
Finalement, la recherche a révélé que la Ville a déjà versé des indemnités aux victimes des inondations notamment en 1936. Durant ces occasions, le conseil municipal de ville ordonne l’évaluation de l’étendue des dégâts. Tout est consigné sur une liste comportant les noms des victimes et les pertes qu’elles ont encourues. Vous pouvez voir l’une de ces listes en photo. Il est ensuite discuté au conseil municipal le montant à défrayer pour les victimes. Cette question d’octroyer, ou non, des indemnités semble toujours avoir eu une résonnance politique. En effet, en 1936, c’est le maire Télesphore-Damien Bouchard qui autorise cette mesure de secours, à quelques semaines des élections. Or, il lui est reproché par ses opposants politiques d’utiliser cette mesure à ses propres fins, lui qui n’a rien fait lors des inondations de 1927.
Le dernier aspect intéressant, pour décrire le phénomène des inondations à Saint-Hyacinthe, est celui de la résilience. Comme abordé dans la section présentant les statistiques, Saint-Hyacinthe a été frappé par les inondations à plusieurs reprises. Si bien, que pour la population, ces événements n’ont rien d’extraordinaire, devenant presque anodins. Le Courrier relève dans son article sur l’inondation de 1918, que leur journaliste a aperçu sur le deuxième étage des maisons inondées, des gens qui jouaient paisiblement aux cartes et « d’autres [qui] se promenaient en chaloupe et chantaient leurs plus beaux refrains ». Cette vision, certainement idéalisée de ce que pouvait être la vie durant une inondation, nous fait quand même prendre conscience du caractère ordinaire que peuvent revêtir ces épreuves par les gens qui les subissent année après année.
Malgré tout, les inondations n’ont, bien évidemment, rien à voir avec une période de festivité ; la population se voit privée d’eau et d’électricité les empêchant de cuisiner pendant toute la durée de la crue. Si par malheur leurs vivres sont détruites par l’eau, ces gens se retrouvent sans aucune denrée et doivent reposer sur la charité offerte par l’Ouvroir Sainte-Geneviève, les citoyens ou leurs proches. Il est d’ailleurs arrivé que des collectes de fonds soient mises en place par les citoyens afin de venir en aide aux sinistrés. Par exemple, en 1898 un concert de la Société philharmonique de Saint-Hyacinthe et un spectacle d’illusion présenté par Ansbach sont donnés à la demande du maire, Euclide-Henri Richer, afin de ramasser des fonds pour les victimes.
Qui plus est, les inondations peuvent avoir un impact économique important pour la population. Les commerces, les écoles et les industries doivent fermer. Dans les cas où les barrages sont détruits par le courant, la zone industrielle se retrouve complètement paralysée. Ces barrages apportent l’énergie hydraulique nécessaire au fonctionnement des industries. En l’absence de cette énergie, les usines n’ont d’autre choix que de fermer leurs portes le temps des réparations. Les ouvriers se retrouvent ainsi au chômage. Pire encore a été l’inondation de 1862, qui a endommagé tous les moulins à farine de la ville les empêchant de fonctionner :
« Mais le plus grand malheur est que Saint-Hyacinthe se retrouve maintenant sans moulin pour cette année. Où ira cette population si dense qui habite les environs de cette ville pour faire moudre son grain ? Celui qui pouvait aller au moulin avec un minot de blé sur le dos, se retrouve incapable de s’y rendre, par conséquence est sans ressource, sans argent, pour acheter le pain de chaque jour et obligé de recourir à la charité publique. »
– Le Courrier de Saint-Hyacinthe avril 1862
C’est dire que ces épisodes amènent une grande précarité à la population de Saint-Hyacinthe qui doivent tout reconstruire avec résilience. Cette attitude rappel sans aucun doute la devise adoptée par la Ville : In Amore et Fortitudine Redivimus (Nous revivons par amour et courage).
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