Un mur de protection contre les inondations pour protéger la basse-ville

Avant la création du mur de protection contre les inondations, les grands débordements de la rivière Yamaska causés par de fortes pluies comme celles de novembre 1927, mais surtout les crues printanières avec embâcles de glace ont inondé la basse-ville de Saint-Hyacinthe en 1852, 1859, 1862, 1863, 1876, 1882, 1901, 1917, 1918, 1936, 1939 et 1951. Chaque fois les eaux atteignaient la rue Saint-Antoine et même la rue des Cascades. Les glaces emportées par le courant déplaçaient de petits bâtiments et parfois même des ponts : le pont Barsalou, ou pont de La Providence, installé pour la première fois en 1854, a été emporté six fois par les glaces!

La rue des Cascades le 5 novembre 1927

En 1968, la Ville de Saint-Hyacinthe et le Gouvernement du Québec ont enclenché l’élaboration d’un programme de réaménagement du quartier Christ-Roi qui est le plus ancien de la ville, mais aussi le plus dégradé matériellement en raison, notamment, des fréquentes inondations qui ont endommagé les habitations et autres bâtiments. Toutefois, avant d’aller de l’avant, il fallait trouver une solution au problème des inondations.

Les premières études du problème des inondations et pistes de solution

Dans une lettre du 12 février 1972, l’ingénieur Georges A. Tremblay de l’Office de Planification et de Développement du Québec (O.P.D.Q.) aborde l’état de délabrement des bâtiments du quartier selon une classification élaborée par le Ministère des Richesses naturelles en liaison avec la société d’urbanisme « Urbatique » qui avait entrepris une étude de réaménagement de cette zone inondable. Un grand nombre de constructions exigeaient des restaurations majeures et certaines étaient même non récupérables. Il est également question des statistiques recueillies dans les rapports annuels de l’ancienne Commission des Eaux courantes sur les hauteurs d’eau observées au barrage de l’usine Penman à l’occasion des débâcles printanières. À l’aide des renseignements obtenus, les ingénieurs ont pu évaluer les débits d’eaux à l’endroit du barrage et faire une projection des crues de récurrence de 10 ans, 50 ans, 100 ans et 1000 ans (débit extrême). Selon ces données, pour la crue de récurrence de 100 ans, la hauteur de l’eau en bas du barrage s’élevait à la cote 85 pieds au-dessus du niveau de la mer. L’inondation du 5 novembre 1927 atteignit cette élévation et l’eau se rendit jusqu’à l’intersection des rues Vaudreuil et Cascades. Deux solutions sont proposées: un mur de protection ou une canalisation.

Graphique du Canal de déviation versus le mur de protection

Le mur de protection, consistait à « entourer la zone d’inondation d’un mur de protection construit sur la rive et d’une hauteur déterminée par la cote de débordement. Le mur présente, en plus de sa fonction de protection, l’avantage d’améliorer grandement l’esthétique des abords immédiats de la rivière (à l’exemple de Saint-Georges de Beauce) et pourrait, de ce fait, être inclus dans un vaste programme de rénovation.

Le mur est calculé pour protéger contre les différentes crues extrêmes et ses caractéristiques sont standardisées :
• le mur est en béton armé,
• il n’est construit que là où il y a débordement,
• ses fondations s’enfoncent de 2 pieds dans le sol,
• le mur dépasse le niveau de l’eau de 2 pieds.

D’autre part, il faut prévoir l’installation d’un égout collecteur, le long du mur, qui déboucherait en rivière au-delà de la zone d’inondation de manière à éliminer le refoulement lors des crues. Il est utile également de compter un remplissage du terre-plein récupéré ».

La deuxième solution évoquée par monsieur Tremblay est la canalisation qui peut se faire par le creusage du lit de la rivière (pour abaisser le profil de l’eau) ou par une dérivation qui contourne l’agglomération. Seule la dérivation a été étudiée en détail pour deux raisons :
1er : Le creusage en rivière est difficile et long en raison de son lit rocheux, donc plus coûteux. Monsieur Tremblay explique qu’il en coûterait plus de 450 000$ pour abaisser la ligne d’eau de 0,12 pied.
2e : La dérivation est dimensionnée pour ne prendre que le débit qui excède la capacité de la rivière. On estime que la rivière ne déborde pas pour des débits inférieurs à 30 000 pieds cubes par seconde. C’est donc l’excédent de ce 30 000 p.c.s. qui doit passer par la dérivation dimensionnée à cet effet La dérivation étudiée est d’une longueur de 17 900 pieds, un dénivellement du fond de 4.3 pieds et d’une profondeur de 20 pieds.

En 1969, les coûts envisagés pour la construction d’un mur de protection étaient de 410 000$ pour faire face à une crue de récurrence de 100 ans. Quant au coût d’un canal de dérivation, il était évalué à 2 450 000$ en incluant les expropriations au taux de 1000 $ l’âcre.

Progrès vers la réalisation d’un mur de protection

L’inondation de mars 1974, même si elle n’avait pas été des plus sévères, a remis à l’ordre du jour le projet de construction d’un mur de protection contre les inondations. Le 10 juin 1974, le Secrétariat général du Conseil exécutif du gouvernement adresse une lettre au maire de la Cité de Saint-Hyacinthe pour l’informer que « le Conseil des ministres du Gouvernement du Québec a décidé d’octroyer une aide financière aux victimes des inondations qui sont survenues au Québec depuis le début de l’année. Cette aide couvrira les pertes encourues à la résidence principale des particuliers et à leurs biens meubles de nature essentielle. Elle sera aussi applicable à la petite entreprise et aux fermes ». Une dizaine de réclamations ont été inscrites chez le greffier de la municipalité suite à cette offre.

Le 10 juillet 1974, une réunion s’est tenue à l’Hôtel de ville de Saint-Hyacinthe pour discuter du projet de protection contre les crues. Le compte-rendu rapporte que les décisions suivantes ont été entérinées par les représentants* de la Ville de Saint-Hyacinthe et du Gouvernement du Québec :
• « Toutes les expropriations nécessaires à la réalisation du mur de protection contre les crues seront entièrement à la charge de la municipalité de Saint-Hyacinthe qui devra les mettre à la disposition du ministère au plus tard l’été prochain.
• Après la réalisation du mur, la propriété de celui-ci sera transmise à la Ville de Saint-Hyacinthe qui devra en faire l’entretien ordinaire. […]
• Le ministère des Richesses naturelles s’engage à réaliser en entier le mur de protection à même les fonds rendus disponibles par l’O.P.D.Q.  Les travaux seront commencés cette année sur les terrains déjà propriété de la municipalité (terrains de jeux et stationnements). »

* Pour la municipalité : Grégoire Girard, maire, Georges Darveau, gérant, André Comeau, greffier, Gabriel Dion, conseiller, Denis Archambault, conseiller, Léo Bibeau, conseiller, Marc Gladu, conseiller, Antonio Rondeau, conseiller, André Boucher, division du génie, Jean-René Cusson, division de l’urbanisme. Représentants du Ministère des Richesses naturelles du Québec : Maurice Masse, ing., dir. génie hydraulique, Bernard Harvey, ing. dir. aménagement, Louis Bouchard, ing., aménagement. Pour l’Office de Planification et de Développement du Québec (O.P.D.Q.), M. Gariépy.

Le 6 août 1974, une présentation officielle du projet de construction du mur contre les inondations a lieu à l’hôtel de ville en présence des représentants du ministère des Richesses naturelles, de l’Office de Planification et de Développement du Québec, des journalistes locaux, du député Fernand Cornellier et des autorités municipales. Le ministère des Richesses naturelles est maître-d’œuvre de la construction du mur de protection dont le coût a été finalement estimé à 1 500 000$. Selon les plans et devis de Pluram inc. dont les services avaient été retenus par le Ministère, le mur de protection serait en mesure de contenir de très fortes crues comme celles qui étaient survenues à cet endroit de la rivière Yamaska depuis un siècle. Quant à la Ville de Saint-Hyacinthe, elle fournit les terrains et, une fois les travaux complétés, elle en devient le propriétaire et en assume l’entretien.

Les travaux de construction ont été entrepris immédiatement aux endroits où la Ville était déjà propriétaire du terrain comme celui des Loisirs Christ-Roi et se sont poursuivis sur trois années, soit jusqu’en 1977. Depuis, aucune crue printanière n’a débordé sur le territoire de la partie basse de la ville. L’arpenteur-géomètre Guy Bruneau indique que la longueur totale de l’ouvrage est de 6 600 pieds et que le coût final est de 1 897 626$. Le mur de protection s’élève à la cote 87,93 pieds (26,80 m.) au-dessus du niveau de la mer au barrage Penman et à la cote 84,94 pieds (25,89 m.) à l’avenue Pratte. C’est donc dire que l’élévation du sommet du mur actuel dépasse d’au moins deux pieds le plus fort débordement observé au cours des derniers 100 ans.

« Un vieux rêve devenu réalité prochaine »

C’était le titre d’un article du Courrier de Saint-Hyacinthe du 22 septembre 1976 pour annoncer que la mise en marche du programme d’amélioration du quartier (P.A.Q.) pour le quartier Christ-Roi. Les négociations entre les propriétaires et la direction du programme étaient bien engagées avec des ententes de gré à gré dans 50 pour cent des cas. Le journaliste précise : « La zone prioritaire fera l’objet de vastes travaux l’an prochain mais on ne veut pas forcer les gens à déménager l’hiver. Quand tous les délais auront été respectés, que la construction du mur de soutènement, qui était une condition sine qua non à la rénovation des quartiers du bas de la ville, sera terminée, les travaux à proprement parler débuteront. Ils seront répartis sur 3 ans et coûteront, selon les estimations courantes, 2 205 796 $. On va commencer par ériger des séries de HLM qui seront des habitations unifamiliales par groupes de 2, 3, 4 ou 5 et qui offriront aux familles deux espaces de planchers ainsi qu’une cour avant et arrière (…) ». Sur les 28 âcres couverts par le programme, 138 bâtiments étaient affectés (dont 56 démolis parce que non récupérables) et 140 familles ont été déplacées. Même si des unités d’habitation à loyer modique ont été disponible pour les reloger, certaines familles ont préféré se débrouiller par elles-mêmes et se chercher des logements qui leur convenaient.

La promenade Gérard-Côté

La digue devient la Promenade Gérard-Côté
Le 5 juin 1993, la Ville de Saint-Hyacinthe honore le célèbre marathonien maskoutain en attribuant son nom à cette œuvre de grande importance qui, en outre de protéger le centre-ville de Saint-Hyacinthe contre les crues printanières, sert aussi de piste cyclable et de promenade piétonnière pour la plus grande satisfaction de la population maskoutaine.

 

D’après les articles de Grégoire Girard parus dans le Courrier de Saint-Hyacinthe les 23-30 avril et 7 mai 2008.

Sources des photos : Centre d’histoire de Saint-Hyacinthe. Collection CH478 Société d’histoire régionale de Saint-Hyacinthe

 

Pour aller plus loin :

Le projet Christ-Roi (un article d’Anne-Sophie Robert)

Détresse au rythme des crues (une exposition virtuelle)

L’inondation de 1927 (un article d’Anne-Sophie Robert)

 

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